Suite au sommet Russie-Afrique à Saint-Pétersbourg, le Président de la transition burkinabé a accordé une interview à l’équipe de Sputnik où il a abordé une myriade de sujets locaux, africains et internationaux. Retrouvez l’intégralité de cet entretien sur notre site.
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Dans une interview accordée quelques jours après votre prise de pouvoir, vous aviez évoqué les relations avec la Russie, indiquant que Moscou était un important partenaire pour le Burkina Faso. Où en sont aujourd’hui les relations entre nos deux pays et quelles sont leurs caractéristiques?
Ibrahim Traoré: Nous l’avons dit sincèrement. Depuis ce jour, je pense que c’est la bonne relation qui nous amène actuellement ici pour honorer le Forum Russie-Afrique au cours duquel nous avons eu de très bons échanges. Et nous espérons donc pouvoir renforcer les liens de coopération qui existent déjà, qui sont déjà très bien, parce que nous avons de très bons partenariats.
Pensez-vous que le continent africain a un rôle à jouer dans le règlement de la crise ukrainienne quand une initiative de quelques pays d’Afrique a déjà vu le jour?
Ibrahim Traoré: Bien sûr, le continent africain est aussi l’un des grands continents de ce monde. Et je pense que beaucoup d’États africains, hier, l’ont exprimé. Tout le monde souhaite que la guerre s’arrête. La guerre, ce n’est pas bien. Tout le monde souhaite que cela s’arrête, qu’on trouve des mécanismes pour l’arrêter, parce qu’on veut vivre en paix. Mais chacun aussi doit faire l’effort de son côté pour qu’on puisse faire un pas.
Quelle est votre lecture du conflit qui se déroule en Ukraine?
Ibrahim Traoré: Moi, je n’ai pas de lectures à faire, parce que nous sommes aussi en conflit. Nous sommes en guerre contre le terrorisme et on s’occupe plus de notre guerre. Ce qu’on déplore seulement, c’est que des armes destinées à l’Ukraine se retrouvent sur notre continent et continuent à activer notre guerre. C’est ce qu’on déplore. Sinon, pour le reste, on est en guerre aussi et je pense qu’on se concentre sur notre guerre.
Des voix s’élèvent sur le continent africain pour dénoncer le danger que représente le trafic d’armes envoyées par l’Occident à l’Ukraine. Ces armes se retrouvent souvent en Afrique. À quel point cela alimente-t-il l’insécurité sur le continent africain?
Ibrahim Traoré: J’ai vu une fois sur des médias que le Président ukrainien lui-même avait limogé une bonne partie de ses proches pour des faits de corruption sur les équipements militaires livrés. Cela veut dire que ce n’est pas contrôlé et que cela se retrouve sur le continent africain, c’est un danger. Les terroristes payent les équipements partout, surtout dans les zones de conflit, parce qu’il y a des trafiquants d’armes. Donc cela ne fait qu’aggraver l’ampleur aussi de nos conflits sur place. Voilà pourquoi nous trouvons que c’est très dangereux d’en déverser de manière incontrôlée, parce que cela se retrouve entre les mains des ennemis qui sont en train de tuer nos peuples.
Les autorités burkinabé qualifient le secteur de la défense de priorité pour la coopération avec la Russie. Où en est aujourd’hui la coopération militaro-technique avec Moscou?
Ibrahim Traoré: C’est la priorité parce que, comme je vous le disais, nous sommes en guerre contre le terrorisme. Et donc, s’il y a une chose vraiment qui nous tient à cœur, c’est de pouvoir discuter de certains aspects en termes d’équipement et de formation aussi, parce que ce n’est pas uniquement l’équipement, il y a la formation. Aujourd’hui, cela va très bien parce que, Dieu merci, la Russie, c’est un pays qui ne refuse rien, en fait: tout ce qu’on veut acheter, la Russie accepte de nous le vendre. Parce que ce n’est pas le cas avec d’autres pays. Voilà pourquoi on dit que la coopération militaro-technique se porte très bien. Tous les équipements qu’on a souhaité acheter en Russie, c’est en bonne voie: il n’y a aucune restriction, on ne refuse pas de licence, et c’est à bon prix. La Russie est prête aussi à nous livrer des armes aussi à titre gratuit pour nous appuyer dans notre guerre. C’est de cela qu’il s’agit.
Selon Moscou, la Russie et l’Afrique veulent créer des infrastructures qui ne seront pas contrôlées par l’Occident, y compris des infrastructures financières. Votre pays est-il intéressé à développer les paiements dans des monnaies alternatives et à réduire la part du dollar dans le commerce extérieur?
Ibrahim Traoré: Tout ce qui est initiative allant dans ce sens, on est partant. Il n’y a pas de problème. Ce sera bienvenu parce qu’on traite avec beaucoup d’États déjà, et on en a parlé par rapport, par exemple, aux BRICS, qui ont mis en place des banques qui nous ont approchés, etc. Ce serait très bien aussi de pouvoir développer cela et on espère que cela va se faire très vite pour pouvoir commercer de façon très libre avec la Russie.
Les BRICS prévoient d’ouvrir une représentation au Burkina Faso. Pourriez-vous nous en dire plus sur les projets de cette organisation dans votre pays?
Ibrahim Traoré: Oui, ils nous ont approchés, on le leur a accordé et ils sont les bienvenus. Du moment que ce sont des investisseurs qui veulent investir dans certains domaines. On a nos cahiers des charges: qu’ils respectent nos clauses et c’est aussi une question financière des banques qui peuvent nous prêter aussi à de très bons taux. Ils sont les bienvenus. Parce que tout ce que nous souhaitons, c’est faire notre guerre, mais aussi développer. Tous les produits qu’ils ont amenés vont dans nos objectifs. Il s’agit de développer notre pays, transformer vraiment le Burkina Faso pour lui donner un autre visage en fait. Donc ils sont les bienvenus.
Et comment voyez-vous l’interaction avec le groupe des BRICS?
Ibrahim Traoré: Cela se passe déjà très bien. Je pense que même ici, les BRICS ont rencontré beaucoup de ministres burkinabé. On en a discuté au Burkina, mais cela s’est poursuivi ici et actuellement pour suivre la discussion sur beaucoup de volets, ils veulent aller très vite. Voilà, je pense que dans le domaine de la santé aussi, il y a de très bonnes perspectives. Donc l’interaction est vraiment très bonne. On a beaucoup d’investisseurs qui sont vraiment intéressés par le Burkina Faso. C’est à travers les BRICS, et nous, on ne peut que s’en réjouir.
Souveraineté et multipolarité étaient parmi les sujets abordés au sommet. Comment voyez-vous le rôle de l’Afrique dans un nouveau monde multipolaire depuis ce forum?
Ibrahim Traoré: Il faut que le rôle de l’Afrique soit encore plus prépondérant dans ce monde parce qu’on a tendance à négliger un peu le potentiel de l’Afrique du fait que beaucoup de nations sont toujours à l’étape de la pauvreté, de la dépendance. Mais quand on parle du monde multipolaire, justement, l’Afrique veut avoir sa place. Il faut qu’on donne à l’Afrique la place qu’elle mérite parce que c’est quand même un grand continent, plus d’un milliard et demi d’habitants. Je pense que nous devons avoir une place plus importante dans le concert des Nations unies et aussi être respectés aux yeux de tout le monde. Voilà pourquoi nous parlons de la multipolarité et de la souveraineté. Parce que, en tout cas, pour ce qui nous concerne, nous ne souhaitons plus que les gens s’ingèrent dans nos affaires. Nous sommes assez matures pour comprendre, vivre en bonne symbiose avec le peuple, pour qu’on discute de ce qui est bien pour nous et ce qui n’est pas bien pour nous. On ne souhaite pas que les gens viennent s’ingérer et on aime aussi travailler de sorte à se prendre en charge, c’est-à-dire être autosuffisants. Donc voilà un peu le concept qui nous guide. Et côté culturel aussi, on ne souhaite pas que les gens viennent nous imposer ce qui est contraire à nos cultures. Donc on rejette cela catégoriquement. Cela fait que les idéologies de ces gens-là, cela converge avec les idéologies russes qui restent attachées à leur culture, qui restent attachées à la souveraineté, etc. Cela fait qu’on s’entend très bien. Donc c’est de cela qu’il s’agit.
S’exprimant au sommet, Vladimir Poutine a déclaré que Moscou allait fournir gratuitement des céréales aux pays africains, y compris au Burkina Faso. Comment évaluez-vous cette volonté? Et quelle est votre impression du discours du Président russe en général?
Ibrahim Traoré: C’est déjà très bien. Je disais que, certes, j’ai dit aux autres chefs d’État africains que c’est bien que le Président Vladimir Poutine soit généreux de donner des céréales à l’Afrique, c’est très bien. Mais ce serait souhaitable que nous puissions produire nous-mêmes. J’apprécie. J’ai apprécié beaucoup parce que, bien avant l’annonce, pour le cas du Burkina, le Président russe avait déjà envoyé des céréales et je pense que cela doit être en route. Donc ce n’est pas la première fois. Parce que lui, il est conscient que nous sommes en guerre, que nous avons des déplacés internes. Voilà, d’autres publient les chiffres, mais ils ne font rien, mais lui, il agit. Donc nous ne pouvons qu’apprécier cela. Et quand les céréales vont arriver, nous ferons tout pour que la population sache que cela vient de la Russie, et c’est appréciable. On en a discuté bien au-delà, pour que la Russie puisse nous aider maintenant à la production, le matériel agricole et les intrants, pour qu’on puisse être indépendants sur ce volet-là. C’est bien apprécié. Je pense qu’il a très bien abordé le sujet en tout cas.
Les autorités burkinabé ont suspendu RFI et France 24, décision décriée par Paris. Et ce, alors que les médias russes, dont notre média Sputnik, avaient été interdits en France. N’est-ce pas un deux poids deux mesures qui se manifeste dans cette réaction de Paris et ses démarches hostiles visant les médias non mainstream?
Ibrahim Traoré: Ce n’est pas uniquement seulement le côté média. Il y a un deux poids, deux mesures un peu partout. J’en aborde la question en fonction des États. Comme vous l’avez dit, vous avez été suspendus là-bas, pourquoi vous avez été suspendus? Nous aussi, nous sommes en guerre, et on ne va pas tolérer que des médias viennent essayer d’intoxiquer nos populations et essayer de les manipuler, de faire de la propagande subversive. On ne va pas l’accepter, et c’est de plein droit qu’on suspend. Même si demain d’autres médias qui parlent ainsi aussi, on va les suspendre, parce qu’ils ont un objectif qui est contraire à ce que nous avons comme réalité. Et ils ne partent pas sur le terrain, parfois ils imaginent des choses. Si vous avez suivi le pourquoi on a suspendu certains médias, c’est déplorable quand même: des médias qui cherchent à confronter le peuple, à attiser la guerre, on ne va pas s’entendre avec eux. Donc c’est à cause de cela qu’on les a supprimés. Et puis ils sont libres de protester. Eux aussi, ils ont fermé des médias. Est-ce qu’on n’a pas le même droit? Nous sommes tous des humains, on a le même droit. Je ne vois pas pourquoi ils peuvent décrier cela, c’est logique.
Le Burkina Faso a dénoncé en mars un accord d’assistance militaire signé en 1961 avec la France. Plus tôt, Ouagadougou avait obtenu le retrait de la force française Sabre. Quel bilan pourriez-vous tirer de l’aide militaire française?
Ibrahim Traoré: Vous avez dit un accord militaire de 1961. C’est quand même assez vieux, c’est depuis 60 ans, depuis l’indépendance en 1960. Mais c’est toujours de la colonisation. Ce sont des accords signés juste après l’indépendance. On a trouvé que ce n’est plus d’actualité. Ce n’est plus d’actualité. Il faut qu’on arrive à avancer tout seuls. Concernant Barkhane, je pense qu’on a dit aux Français qu’on ne souhaite pas que des soldats français viennent mourir sur notre sol. Donc laissez-nous, on va se battre entre Burkinabés. Voilà, on est assez majeurs, on est assez conscients de notre situation. C’est la première explication, parce qu’ils disent que les soldats français meurent. Je souhaite qu’ils repartent chez eux défendre la mère patrie. Nous, on va défendre notre mère patrie. Deuxième chose, nous n’avons pas vu un facteur particulier, un apport particulier de la force. Quand ils bougeaient, certains ont pu découvrir tout l’arsenal qu’il y avait en fait en termes de blindés, en termes d’hélicoptères de combat, en termes de moyens de renseignement, etc. Nous ne pouvons pas avoir tout cela. Et puis les terroristes se baladent et font ce qu’ils veulent. Et de toute façon, aujourd’hui, on en arrive à détecter les colonnes terroristes et à les frapper. Donc nous avons aussi des moyens capables de le faire. Donc ce n’était pas nécessaire. Il fallait qu’ils partent, c’est tout.
En février, la CEDEAO a refusé de lever les restrictions imposées contre votre pays. Jugez-vous cette décision légitime? Comment pouvez-vous caractériser cet instrument que sont les sanctions et leur éventuelle efficacité?
Ibrahim Traoré: Vous avez parlé tout de suite de deux poids, deux mesures. Nous avons toujours eu un traitement à géométrie variable de nos problèmes. La CEDEAO nous sanctionne. Bon, je pense qu’ils font des erreurs. Pourquoi on est dans une situation comme celle-là? C’est à cela qu’il faut réfléchir. Et puis, sans rien de mal, iIs nous ont sanctionnés et nous sommes en guerre depuis. Est-ce que la CEDEAO a une fois levé le pouce pour envoyer une cartouche à nos soldats pour qu’ils combattent? Ont-ils envoyé des troupes pour combattre le terrorisme? Rien. Et si c’est sanctionner, oui, ils sanctionnent. On ne sait pas d’où ils tirent leurs sanctions. Mais c’est le traitement comme cela, deux poids, deux mesures, qui est révoltant, en fait. Nous ne pouvons pas concevoir cela. Et ce qui est encore plus déplorable, lorsque les terroristes attaquent ou font quoi que ce soit, on ne voit pas de réaction de la CEDEAO. Mais lorsque les forces burkinabé font des offensives, souvent, ils font des communiqués allant dans tous les sens. C’est désolant. Aujourd’hui, nous regardons, entretemps, il y a des communiqués que la CEDEAO a sortis pour essayer d’incriminer les Burkinabé dans une histoire de stigmatisation. Un pays voisin cherche les Burkinabé… La CEDEAO n’a pas levé un seul pouce. C’est honteux. Souvent, je me demande si eux-mêmes, ils font le feedback de leur réaction en fait. Quand ils s’assoient et regardent toutes leurs déclarations et puis leur comportement vis-à-vis d’un peuple ou d’un autre, je pense que cela doit donner beaucoup de choses à réfléchir. Donc nous, on va continuer d’avancer en toute dignité, en toute responsabilité.
Le Burkina Faso a proposé en février la création d’une fédération avec le Mali. Quels en sont les enjeux et quelles démarches ont été faites pour procéder à sa réalisation?
Ibrahim Traoré: Bien sûr, nous avons lancé l’idée, d’ailleurs, qui n’est pas bien appréciée par certains de la CEDEAO. Vous avez dû voir les images dans certaines conférences où ils ne sont pas d’accord qu’on puisse fédérer. Eh bien, il faut que les gens comprennent qu’en rangs dispersés ce sera difficile. On va se battre, mais il faut que l’Afrique arrive à s’unir. Plus on s’unit, plus on est efficace. Nous sommes en train d’évaluer actuellement beaucoup de choses avec le Mali, surtout sur le domaine économique. Sur le côté de la défense déjà, on a des accords, cela s’est déjà scellé. Les Maliens viennent chez nous, c’est vraiment la même armée. On fait tout ensemble, on s’entraîne ensemble, on combat ensemble, terrestre, aérien, tout se passe bien. Le volet économique aussi, on est en train de réfléchir. On a beaucoup de flux d’échanges commerciaux. Comment renforcer? Voilà, il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte. On n’exclut pas qu’un autre État vienne se fédérer avec nous. Donc le processus est en cours. Voilà. Et plus tôt cela va venir, mieux c’est. Donc s’il y a d’autres États qui sont intéressés… C’est sûr qu’on va aller vers la Guinée, et s’il y a d’autres États intéressés qu’on puisse s’unir, c’est ce que la jeunesse demande, parce qu’il y a des choses qui se produisent d’un côté, qui se passent, d’autres richesses qu’on puisse interchanger, qu’on soit assez fort.
Quelles sont vos impressions de la Russie, Monsieur le Président? Qu’appréciez-vous le plus dans les relations bilatérales avec la Russie?
Ibrahim Traoré: Il faut dire ce qu’on apprécie, c’est d’avoir le respect. Les Africains en général aujourd’hui, la jeunesse, n’arrivent pas à concevoir le manque de respect, en fait, de certains États vis-à-vis de nos pays. Mais en ce qui nous concerne, on n’a pas senti ce complexe-là avec la Russie. Il y a le respect, il y a la considération, un échange en fait en pairs, d’égal à égal. C’est déjà important en fait. Mais la Russie aussi, il faut retenir que la Russie, pendant la décolonisation, a joué un rôle important en Afrique. La Russie est quand même un État qui est anti-impérialiste, qui n’aime pas l’esclavage, la domination, qui ne s’ingère pas dans les affaires internes des États et trouve que chacun est assez majeur pour avancer. Et la Russie soutient comme elle peut. On est en conflit, on veut des armes ou quoi que ce soit. Tant qu’ils peuvent, ils donnent. On a un conflit, on a des déplacés, une situation humanitaire et ce qu’ils peuvent, ils donnent. Cela ne veut pas dire qu’en Russie il n’y a pas de besoins. Mais pour l’instant, nous, nous avons des besoins, ils arrivent à les satisfaire, ils sont ouverts. Donc cette partie est importante. Surtout le respect. On en a besoin, on en a besoin. Il ne faut pas que l’on continue de nous piétiner. C’est très important.