L’élection présidentielle française, vue d’Afrique, a suscité peu de débats. Et ce malgré la présence d’une diaspora africaine importante. Quelle politique africaine peut-on attendre de ce second mandat d’Emmanuel Macron ? Quels chantiers ou projets méritent d’être approfondis ? Migration, présence militaire, politique monétaire, l’historien Achille Mbembe revient sur ces sujets. En octobre 2021, en marge du Sommet Afrique – France de Montpellier, cet intellectuel camerounais avait remis à Emmanuel Macron plusieurs conseils pour refonder les relations franco-africaines.
RFI : Achille Mbembe, la réélection d’Emmanuel Macron, est-ce que c’est un soulagement pour la diaspora africaine ?
Achille Mbembe: C’est une bonne nouvelle qui exige que l’on se rassemble et que l’on s’organise pour la suite. La suite sera une suite de combats, mais si on ne s’organise pas, évidemment, on risque de se retrouver dans une situation beaucoup plus grave dans cinq ans que celle à laquelle nous avons été confrontés et qui est structurelle.
Pendant sa campagne, Emmanuel Macron a très peu parlé des relations avec le continent africain. Que peut-on attendre de ce second mandat ?
Il faut que, lors de ce second mandat, il s’attaque à ce qu’il reste à faire, et il reste beaucoup à faire. Il reste beaucoup à faire au Sahel. Il reste beaucoup à faire en terme de redéfinition des termes de la présence militaire française en Afrique. Il reste beaucoup à faire en terme de repositionnement en faveur de la démocratie en Afrique. Il reste beaucoup à faire également en terme d’appui à la grande demande de mobilité qui travaille les nouvelles générations. Tout cela en plus des questions traditionnelles de développement, l’objectif étant d’accompagner des efforts locaux plutôt que de se placer dans une logique d’expansion des intérêts français en Afrique. Si on s’attaque à ces éléments, alors il sera possible de sortir une bonne fois pour toute de la Françafrique.
Quand vous dites qu’il reste beaucoup à faire sur le plan de la présence militaire et notamment de l’engagement de la France au Sahel, on a vu que ces dernières années que la France avait tendance à se désengager, qu’est-ce qu’elle devrait faire de plus ?
C’est tout le dispositif qu’il faut remettre sur la table, le dispositif mis en place au lendemain de la décolonisation. A quoi servent par exemple les bases militaires françaises en Afrique aujourd’hui ? Comment est-ce que cette présence sur le continent peut aider à l’émergence d’un dispositif de sécurité dans lequel les Africains-mêmes joue le premier rôle ? Il y a un gros réarmement intellectuel à faire, si effectivement on veut transformer la relation.
Concernant la monnaie, le franc CFA, comment la France peut-elle effectivement aider les pays qui le souhaitent à quitter la Zone franc sans qu’il n’y ait de séquelles majeures ?
Elle peut les aider en sortant elle-même de la Zone franc, ou bien en les accompagnant dans la mise en place d’une monnaie régionale. L’Eco par exemple. L’objectif général doit être d’accompagner les Etats de la sous-région à s’accorder sur une politique monétaire autonome et en phase avec le projet général d’ouverture d’une zone de libre-échange sur le continent.
En octobre 2021, vous avez remis une contribution qui liste une série de conseils pour refonder les relations entre l’Afrique et la France, et vous préconisez notamment de créer un « nouveau narratif » dans les relations franco-africaines. Pourquoi ce travail est-il si important ?
Ce travail est très important, il est aussi important que ce qui se fait d’ores et déjà. Je pense à la mise en place du Fonds de soutien à l’innovation pour la démocratie, où on a enregistré des progrès. L’idée est que ce fonds soit mis en place dès le 8 octobre prochain, un an après le sommet. On a une histoire commune, elle est ce qu’elle est : elle est ineffaçable. Avoir une histoire commune ne veut pas nécessairement dire avoir un futur en commun. Ce futur en commun, il faut l’inventer. On ne peut pas l’inventer si effectivement on n’arrive pas à interpréter sur des bases plus ou moins communes ce qui nous lie, et à recréer des liens qui libèrent plutôt que des liens qui enchaînent. C’est ça tout l’enjeu du nouveau narratif.