Yaoundé, la capitale du Cameroun, accueille du 4 au 6 mars 2024 un sommet sur l’intelligence artificielle (IA), dont l’objectif est d’évaluer l’état de préparation des médias africains à l’utilisation de l’IA et d’établir les bases d’un plaidoyer en faveur de politiques régionales cohérentes. Un sommet organisé par l’Union africaine de radiodiffusion (UAR), la plus grande organisation professionnelle de la radio et de la télévision en Afrique. Présente à Yaoundé, Laurence Ndong, la ministre de la Communication et des médias du Gabon s’est exprimée sur les défis à relever par le Gabon et les pays africains globalement pour tirer profit de l’intelligence africaine.
Depuis quelques années, l’Intelligence artificielle (IA) connaît un regain d’intérêt dans le monde et en Afrique. Quels sont les enjeux de l’IA pour le Gabon comme pour d’autres pays africains ?
L’Intelligence artificielle (IA) ce sont des solutions technologiques qui imitent la pensée humaine. Ça peut modifier notre façon de vivre. Sur les réseaux sociaux par exemple, on est face à l’IA tous les jours. Il suffit que vous ayez regardé un contenu pour qu’on vous suggère par la suite des contenus selon ce que vous avez regardé, selon vos centres d’intérêt. Les contenus qu’on vous propose peuvent vous modeler, façonner vos habitudes, vos modes de pensées et vous transformer complètement. Donc, on peut arriver à une société différente à celle qu’on a. Je prends l’exemple de TikTok. On reproche à TikTok que ses algorithmes en Chine permettent aux enfants chinois de s’intéresser à l’éducation et à la culture. Mais, quand vous regardez les algorithmes de TikTok en Afrique, vous ne voyez que des gens qui dansent et qui mangent. Donc, on nous ramène à la danse et à la nourriture sur TikTok, alors que ce réseau dans d’autres pays est un outil d’apprentissage, d’acquisition du développement des compétences. C’est en cela que l’IA est un véritable enjeu pour nous. C’est à nous de créer nos solutions et de se demander quels sont les besoins des jeunes Gabonais aujourd’hui, et comment l’IA peut nous permettre de leur apporter cette intelligence, de leur apporter les connaissances dont ils ont besoin pour construire notre paie. Et c’est cela tout l’enjeu. Et pour les médias, c’est encore plus important parce que les médias façonnent la société. À travers les médias, on peut véhiculer les fake news qui peuvent entraîner des problèmes très graves dans la société, tout comme on peut construire une société à partir des médias. Et donc, l’IA peut nous permettre aujourd’hui, soit de bâtir des sociétés fortes, soit de bâtir des sociétés qui vont être en difficulté. Raison pour laquelle, on ne peut pas négliger cette question de l’IA aujourd’hui.
Comment peut faire le Gabon et d’autres pays africains pour ne pas subir cette technologie ?
Nous nous devons d’être prêts. Et c’est pour ça que l’UNESCO a mis en place cet outil qui est l’étude d’état de préparation de chaque pays face à l’IA. Nous devons faire cette étude. Nous l’avons mené au Gabon, nous avons fait l’atelier de préparation de l’IA pour savoir où est-ce que nous en sommes et par rapport à là où nous devons aller. Et aujourd’hui, par rapport à l’IA, on ne peut pas dire que nous sommes en retard. C’est une technologie ancienne. Mais, pour ce qui concerne ses nouveaux développements, par rapport à leur utilisation, on est presque au même niveau que tous les autres pays. Donc, c’est à nous de faire l’état des lieux de là où nous en sommes et où est-ce que nous voulons aller de façon objective.
Il faut que nous nous donnions les moyens d’y arriver, et de relever les défis. Notamment, les défis en termes d’infrastructures, les défis en termes de contenus. Quels sont les contenus dont on a besoin aujourd’hui pour que notre société puisse se construire et avancer. Qu’est-ce que l’IA peut nous aider à construire comme contenu, par rapport à l’éducation, à l’information, à la santé. Il y a différents domaines dans lesquels l’IA va nous aider. Et c’est en cela que l’IA représente un défi que nous devons relever. Soit, nous allons dans la bonne direction et on maximise sur les opportunités en limitant les risques, soit on croise les mains, et on se laisse encore une fois de plus bouffer par les autres sociétés.
C’est un enjeu civilisationnel. Nos civilisations, nos sociétés peuvent être complètement refaçonnées dans leur mode de fonctionnement, dans leur mode de pensée, et même dans leur culture. Et c’est pour ça que nous devons concevoir nos propres solutions d’IA adaptées à nos besoins, à nos cultures et ne pas nous contenter de consommer ce qui vient d’ailleurs.
L’on redoute la perte de milliers d’emplois dans plusieurs secteurs d’activité à cause de l’IA. Qu’en dites-vous ?
On considère souvent l’IA comme étant des robots qui vont remplacer les humains. Ce n’est pas ça. Ce sont des solutions conçues par les humains, pour les humains, par l’intermédiaire de la machine. Donc, on aura toujours besoin de l’être humain pour concevoir la solution d’IA, mais aussi pour assurer la maintenance. S’il ya des métiers qui vont disparaître, il ya d’autres métiers qui vont se créer.
En effet, concevoir des solutions d’IA adaptées à nos besoins va créer des emplois parce que nous aurons besoin de développeurs pour développer nos propres solutions. Nous aurons besoin des informaticiens… Il y a des métiers qui vont se créer et dont on a vraiment besoin. Il y a des statistiques qui disent que l’Afrique d’ici à 2030 aura besoin de plus d’un million de développeurs. Donc, il y a des métiers qui vont se créer, c’est un enjeu. L’IA peut être en notre faveur comme il peut être en notre défaveur et les réunions comme celles-ci, nous permettent de réfléchir afin de trouver des solutions pour que l’IA soit en notre faveur.
Propos recueillis par Sandrine Gaingne