Figure de la lutte contre le régime d’Alpha Condé, défenseur de la démocratie, Djanii Alfa n’a pas baissé la garde depuis le coup d’Etat qui a renversé l’ex-président. Le rappeur guinéen continue de mener ses projets artistiques et son engagement politique de front.
À l’étranger, dans un aéroport, dans un avion ou enfermé en studio dans la banlieue de Conakry, on ne sait jamais vraiment où se trouve Djanii Alfa. Il a fallu des dizaines de messages, passer plusieurs coups de fil et un rendez-vous manqué pour réussir à se rencontrer. Djanii Alfa finit par faire surface dans une galerie commerciale de la capitale guinéenne, à quelques coups de volant du rond-point Bambeto, quartier contestataire sous Alpha Condé, et à deux pas du FNDC, organisation de la société civile qui a animé la fronde contre l’ancien président et son troisième mandat. Le décor est planté. C’est le rappeur qui a choisi l’endroit, un bar lounge où il n’y a pas un client en ce début d’après-midi. La salle est plongée dans une semi-obscurité.
Le soir-même, le “sicario” – l’un de ses surnoms – doit monter sur scène à Conakry pour la première date de sa nouvelle tournée, le Peace Tour Act 1, qui après la Guinée, l’emmènera à Dakar le 28 mai, en Gambie du 4 au 5 juin et en France au mois de juillet. Djanii Alfa va y présenter son cinquième et dernier album, Chef Rebel. Il a déjà été adoubé par le public de son pays. C’était le 22 janvier au stade Général Lansana-Conté : “Officiellement, on a vendu près de 70 000 tickets.”
Ce disque fleuve de 22 titres, il l’a préparé en exil, au Congo-Brazzaville où il vit depuis début 2020. “Les menaces étaient claires. Rien d’officiel, mais les camarades de lutte, libres ou incarcérés, des personnes au sein du pouvoir aussi, m’avaient mis en garde : ‘Viens pas, si tu viens, tu vas te faire arrêter.’” Djanii Alfa finit sa phrase par un rire, comme pour dédramatiser. Il rentre au pays le 18 septembre 2021, quelques jours après le coup d’Etat. Ses fans sont en ébullition. Il est accueilli en héros, traverse la ville perché sur un bus à impériale.
“J’ai été convoqué à la gendarmerie le soir-même. On m’a dit que les mesures Covid n’autorisaient pas les rassemblements”, relate l’artiste, moqueur. Mais en janvier, pour son concert dédicace, dans le plus grand stade de Conakry, les gestes barrières ne sont plus qu’un lointain souvenir, la foule est compacte. En fusion quand Djanii Alfa monte sur scène, suivi de plusieurs danseurs. Cagoule noire sur la tête, ils marchent au pas de l’oie autour du rappeur. “C’était un clin d’œil au CNRD (Comité national du rassemblement pour le développement, la junte militaire à l’origine du coup d’Etat de septembre 2021, ndlr). C’était ma manière à moi de rappeler à Mamadi Doumbouya (le président de la transition, colonel de l’armée, ndlr) que la première fois qu’on l’a vu à la télé, c’est cette marche-là qu’il faisait, pour le défilé de la fête de l’indépendance en 2018. Je voulais lui rappeler d’où il venait.”
L’engagement politique de Djanii Alfa a pu effrayer l’industrie du disque guinéenne. Pour cette raison, il n’a jamais eu de sponsor, sauf pour ce concert, concède-t-il. Il a dû rapidement monter sa propre structure, une maison de production, G4 Life Muzik fondée en 2015.
L’axe
Fils d’une enseignante et d’un père employé à la compagnie aérienne nationale, Air Guinée, Djanii Alfa est né dans le Fouta-Djalon à Koundara, a passé ses années collège dans un quartier populaire de Conakry, à Matoto, et fait une partie de ses études au Sénégal (il parle couramment wolof). Ce parcours, et la diversité de ses étapes, a forgé l’identité de l’artiste qui milite aujourd’hui pour que les Guinéens puissent rester dans leur pays, y trouver opportunités et perspectives. Il a fondé une ONG, NGIR (Naître Grandir Ici et Réussir), une organisation qui entend favoriser l’éducation et la formation professionnelle. “Depuis la sortie de l’album, 80% des fonds que nous récoltons sont investis dans la mise en place de l’ONG.”
Sa tournée doit se terminer en apothéose le 16 juillet au Bataclan, à Paris. “Une salle mythique”, le hip hop français en fit l’un de ses repaires à ses débuts, dans les années 1980. “Depuis la sortie du premier album (en 2012, ndlr), avec mon équipe, on s’est dit qu’il fallait qu’on soit dans la capacité de pouvoir envoyer notre message ailleurs, au-delà de nos frontières.”
Toucher le maximum de personnes, c’est déjà ce que Djanii Alfa essaie de faire dans son pays où l’on valorise plutôt la mélodie, où l’on aime la musique qui fait danser. Son rap conscient part avec un handicap : “Il m’a fallu pas mal de temps et de stratégies pour devenir celui que je suis aujourd’hui.” Plus de 15 ans de carrière, une longévité qui impose le respect, mais qu’il ne peut s’empêcher de tourner en dérision : “Les rappeurs de 37 ans, ça court pas les rues”, lance-t-il dans un sourire. Il y a la face A et la face B de Djanii Alfa, sérieux et léger tour à tour.
Sur la tracklist de Chef Rebel, il propose des morceaux festifs comme VIP, mais aussi des titres contestataires. Dans Même chose, Djanii Alfa dénonce les fléaux qui continuent de frapper l’Afrique, la corruption, les services publics défaillants, le manque de justice… “Ce que je préfère, c’est faire de la musique sur des thèmes bien définis qui peuvent créer le débat. Il y a beaucoup de manières de définir le rap, mais pour moi, c’est un discours artistique sur l’actualité.” Son ADN reste l’engagement, comme lorsqu’en 2019 il proclame “je suis de l’axe”, référence à la Route Le Prince, qui borde les quartiers de Conakry, en première ligne dans l’opposition au troisième mandat d’Alpha Condé et particulièrement visés, en retour, par la répression du régime. Sa famille a toujours une maison là-bas.
Détracteurs
Au plus fort de la crise socio-politique qui frappe son pays à la fin des années 2010, certains l’accusent d’ethnocentrisme. Il ne défendrait que les intérêts des Peuls, majoritaires sur l’axe. C’est une insulte, disqualifiante, en Guinée où les relations entre communautés sont sans cesse sous l’œil des observateurs à la recherche de signes précurseurs de division. “C’est un faux débat. C’est quelque chose que les Guinéens ont trouvé pour couper court à toute discussion”, rétorque Djanii Alfa.
En mars dernier, il a rejoint la coordination nationale du Front National pour la Défense de la Constitution. Il était jusqu’ici le porte-parole du collectif des artistes du FNDC, il est désormais responsable de la commission relations humaines et citoyenneté active. Plus que jamais, il scrute avec attention la situation politique de son pays. Le 5 septembre 2021, il s’est réjoui du coup d’Etat qui a fait chuter Alpha Condé. “Ce n’est pas l’échec de son système, mais une victoire du contre-système. Pendant 10 ans, le peuple a subi, mais une partie des Guinéens ne s’est jamais laissée faire, elle a tenté de convaincre l’autre partie que le système en place était obsolète”, rectifie-t-il. Et finalement, le CNRD, la junte au pouvoir, “s’est contenté de faire par les armes ce que des personnes ont fait ici pendant des années par les idées et par les mots”.
La suite du processus de transition l’inquiète néanmoins. “Le système, ce monstre est toujours là.” Et il en donne sa définition très personnelle : “Depuis le temps d’Alpha Condé, je les appelle les 300 (en référence au film du même nom, ndlr). Ils ne sont pas beaucoup, les gens qui décident pour nous.” Il dénonce le “recyclage”, “les promoteurs du troisième mandat” qui sont nombreux à être toujours aux affaires. Son combat continue.