Le procureur général près la Cour de cassation a officiellement saisi l’Assemblée nationale, mercredi 21 mai, pour obtenir la levée de l’immunité parlementaire du ministre de la Justice, Constant Mutamba. Ce dernier est soupçonné de détournement de fonds publics dans le cadre d’un projet de construction d’un centre pénitentiaire à Kisangani, d’un montant total de 39 millions de dollars.
Selon le réquisitoire du parquet, une somme de 19 millions de dollars a déjà été versée à une société dans le cadre d’un marché conclu de gré à gré, sans validation préalable de la Première ministre ni des organes de contrôle. Les fonds ne provenaient pas du Trésor public, mais du Frivao, un fonds spécifique sous la tutelle directe du ministre de la Justice, censé gérer les indemnités de guerre versées par l’Ouganda à la RDC. Le virement avait d’ailleurs été temporairement bloqué par la Cellule nationale de renseignements financiers, qui évoquait des suspicions autour de l’opération.
L’affaire s’inscrit dans un climat tendu entre le ministre Mutamba et le parquet. En novembre 2024, le ministre avait ordonné une enquête sur l’achat controversé d’un immeuble à Bruxelles par le procureur général. Si l’opération s’était révélée légale – l’acquisition ayant été faite à crédit –, l’initiative avait provoqué une crispation durable au sein de l’appareil judiciaire. Certains observateurs y voient aujourd’hui une possible revanche déguisée de la part du parquet.
La balle est désormais dans le camp des députés, qui devront se prononcer sur la levée ou non de l’immunité du ministre. Si celle-ci est approuvée, Constant Mutamba pourrait faire l’objet de poursuites pénales. Mais au-delà de l’aspect judiciaire, cette affaire soulève des questions politiques, notamment sur l’usage des fonds du Frivao, un établissement stratégique censé compenser les préjudices causés par l’Ouganda durant les conflits armés en Ituri.
L’Association africaine de défense des droits de l’homme (Asadho) appelle à ne pas tirer de conclusions hâtives. Elle estime qu’il faut faire la lumière sur les faits, sans céder à la manipulation politique. « S’il y a détournement, il doit être sanctionné. Mais si ce sont des allégations sans fondement, il faut protéger le ministre », déclare l’ONG, qui s’inquiète d’un possible instrumentalisation de la justice.
Cette affaire intervient dans un contexte où les institutions judiciaires congolaises sont régulièrement accusées de fonctionner à géométrie variable. La transparence autour du Frivao, comme l’indépendance réelle de la justice face au pouvoir exécutif, sera scrutée de près. Pour de nombreux citoyens, cette séquence représente un test de crédibilité pour les autorités congolaises à l’heure où la lutte contre la corruption est censée être une priorité.