La réduction de la présence militaire française en Afrique, amorcée en 2025 avec la fermeture de bases historiques au Tchad et en Côte d’Ivoire, a laissé place à un phénomène inattendu : l’afflux d’ex-militaires français dans les rangs de sociétés militaires privées. Ces « contractors » bien rodés, attirés par les offres anglo-saxonnes et turques, brouillent les cartes, alors que l’état-major des armées à Paris cherchait justement à se faire discret sur le continent.
Avec le recentrage des priorités françaises sur l’Europe de l’Est et le risque de guerre conventionnelle, la lutte contre le jihadisme en Afrique est reléguée. Dans ce contexte, les sociétés militaires privées ont comblé le vide sécuritaire, proposant aux États africains des services variés : logistique, formation, protection de sites sensibles. Pour ces sociétés, les ex-soldats français représentent une ressource précieuse. Leur connaissance des terrains africains et leur maîtrise du français en font des recrues de choix, notamment dans des zones où les Anglo-saxons peinent à s’imposer.
Historiquement, la France a toujours hésité à recourir à des sociétés privées pour ses opérations extérieures, à l’inverse des États-Unis et du Royaume-Uni. Ce modèle, pourtant bien ancré dans les pays anglo-saxons, séduit de plus en plus d’États africains soucieux d’assurer leur sécurité sans dépendre de forces armées étrangères. Des entreprises comme Amentum, G4S ou Themiis déploient aujourd’hui des ex-militaires français dans plusieurs pays d’Afrique, dont le Bénin, le Mali ou la Centrafrique. Ce phénomène alimente les tensions et nourrit les soupçons de « néo-colonialisme masqué ».
Alors que Paris s’efforce de réduire son empreinte militaire sur le continent, la montée en puissance de ces sociétés privées crée un effet inverse. À Balard, au siège de l’état-major, on redoute les interprétations : ces ex-soldats, désormais civils mais armés et bien connus localement, pourraient alimenter la perception d’une présence militaire française officieuse. Ce paradoxe pose question : faut-il encadrer et contrôler ce phénomène en France, malgré une législation qui interdit toute activité de mercenariat armé ? Le débat reste ouvert.
Les opinions publiques africaines, déjà échaudées par les rumeurs d’ingérence ou de Françafrique, voient d’un mauvais œil ces sociétés privées où se mêlent anciens militaires français et intérêts étrangers. À Cotonou, les autorités béninoises ont publiquement nié tout recours à des sociétés comme Amentum, malgré des informations concordantes. « Un Blanc en civil armé qui parle français, c’est un militaire français », confie un officier, résumant le malaise. Ce climat nourrit les fantasmes de bases secrètes ou d’opérations clandestines contre les régimes sahéliens.
Face à cette montée des sociétés militaires privées, notamment russes, chinoises ou turques, Paris semble en retard. Contrairement à ces pays, la France n’a jamais privatisé ses forces armées et conserve une ligne rouge légale stricte. Les sociétés comme DCI ou Expertise France, bien qu’actives, ne peuvent rivaliser sur le terrain des « contractors ». Pourtant, ces entreprises constituent un outil d’influence souple et efficace, capable de garantir des intérêts stratégiques sans mobilisation directe. Ce décalage alimente les débats sur l’opportunité pour la France de s’adapter à ces nouvelles réalités sécuritaires.