Tensions accrues entre le pouvoir et l’opposition au Kenya, après des propos incendiaires du président William Ruto. Ce dernier a accusé ses opposants de fomenter le chaos pour précipiter la chute de son gouvernement avant l’élection de 2027. Une déclaration qui intervient après de violentes manifestations ayant fait 31 morts, et qui a ravivé les critiques contre la dérive autoritaire du régime.
Lors d’un discours à Nairobi le mercredi 10 juillet, William Ruto a vivement dénoncé ceux qu’il accuse de vouloir semer la pagaille pour “renverser l’ordre constitutionnel”. “Dans un pays démocratique, on ne peut pas semer le chaos”, a-t-il lancé, avant de justifier l’usage de la force létale contre les manifestants violents : “quiconque met le feu aux commerces doit recevoir une balle dans la jambe”. Ces propos ont aussitôt provoqué une levée de boucliers dans les rangs de l’opposition, qui y voit une tentative de criminalisation de la contestation sociale.
Parmi les figures de l’opposition les plus virulentes, l’ancien vice-président Rigathi Gachagua dénonce un gouvernement “hostile” qui instrumentalise les violences pour étouffer la dissidence. Selon lui, les attaques de commissariats seraient “orchestrées” pour justifier une répression politique ciblée. Il réfute tout projet de coup d’État : “Personne ne cherche à renverser votre gouvernement, monsieur le président. Nous voulons vous affronter dans les urnes, pas dans la rue.” Gachagua appelle désormais au boycott des entreprises proches du pouvoir. De son côté, Raila Odinga réclame un “dialogue national d’urgence”, dénonçant une police qui se comporte comme “à l’époque coloniale”.
Ces accusations surviennent dans un contexte de profonde crispation. Depuis plusieurs semaines, le Kenya est secoué par des manifestations contre la vie chère, la corruption et l’inflation galopante. Loin d’être spontanées, ces mobilisations traduisent un malaise profond, notamment parmi la jeunesse urbaine. Le régime Ruto, élu en 2022 sur la promesse d’un “bottom-up economic model”, peine à convaincre. Les critiques dénoncent des réformes fiscales injustes et une gouvernance de plus en plus brutale, notamment à l’encontre de certaines communautés comme les Kikuyus.
Alors que la présidentielle de 2027 se profile, l’opposition tente de structurer sa riposte sur le terrain électoral. Plusieurs leaders appellent les jeunes à s’inscrire massivement sur les listes électorales. Objectif : transformer la colère sociale en vote de rupture. Un discours qui tranche avec les violences des derniers jours et cherche à donner une issue politique à la crise actuelle. Le message est clair : faire des urnes, et non de la rue, l’espace principal de contestation.
Face aux critiques, le pouvoir campe sur une posture sécuritaire. Le recours à la rhétorique de la “menace intérieure” et les références répétées à la loi antiterroriste laissent craindre une restriction des libertés politiques dans les mois à venir. Pour l’opposition, le risque est grand de voir les dérives s’aggraver si aucune médiation crédible n’est engagée. Le pari du dialogue reste fragile, tant la méfiance entre les camps semble installée.
Au-delà des dirigeants politiques, plusieurs voix de la société civile tirent la sonnette d’alarme. Cleophas Malalah, du parti Democracy for Citizens, dénonce “le sang des innocents versé sur l’autel de la tranquillité nationale”. Des ONG réclament l’ouverture d’enquêtes indépendantes sur les violences policières. Dans un pays où le souvenir des violences post-électorales de 2007-2008 reste vif, la gestion sécuritaire de la contestation suscite de sérieuses inquiétudes.