Voilà eux mois que la République Centrafricaine a adopté unilatéralement la cryptomonnaie comme monnaie officielle à côté du franc CFA. Pour un pays qui fait partie d’une zone monétaire commune, la zone franc, avec 14 autres pays africains et qui partage également avec cinq états (Cameroun, Congo-Brazzaville, Gabon, Guinée Equatoriale et Tchad), une zone économique régionale , la Cemac, ainsi que qu’une union monétaire, l’Umac, une telle démarche représente un véritable coup de force, voire même un défi, susceptible de mettre en jeu le fondement même des deux institutions et surtout d’ébranler les économies des états membres, particulièrement celles des pays membres de la Cemac.
Mais curieusement, en dehors de quelques mesures dissuasives des institutions communautaires comme la Beac et la Cobac, aucune réaction n’est encore venue ni des états concernés, ni encore moins de la Cemac ou de la zone Franc. On peut expliquer le silence des états par la délicatesse des enjeux monétaires que soulève l’acte pose par la Centrafrique, qui ont toujours été gérés au niveau communautaire et même au-delà, par la France, le parrain historique. Mais on ne peut être qu’étonné par l’apathie des organismes communautaires (Cemac, Umac et zone Franc) qui auraient dû déjà organiser des réunions extraordinaires pour se pencher sur un problème qui compromet à plus d’un titre leur avenir, tout en violant manifestement la réglementation de la Zone franc qui proscrit l’utilisation des cryptomonnaie comme l’ont rappelé récemment la Beac et la Cobac.
Pour les états, hormis les enjeux monétaires soulignés plus haut, il y a peut-être lieu de mettre leur silence dans le même registre que leur « neutralité » lors du vote à l’Onu il y a quelques mois, d’une motion occidentale condamnant la Russie pour son invasion de l’Ukraine. On se rappelle qu’a cette occasion, tous ces pays s’étaient soit abstenus soit absentés lors du scrutin. Une unanimité qui ne pouvait s’expliquer que par l’attrait que la Russie exerce actuellement sur tous les régimes totalitaires du monde dont font partie tous les états membres de la Cemac particulièrement préoccupés par leur survie que la France de Macron hésite à garantir. Pour revenir sur le cas particulier du Cameroun, cette sympathie pour la Russie dans les cercles officiels ne se cache plus, autant avec la signature le 12 avril 2022, en pleine guerre en Ukraine, d’un accord de défense entre le Cameroun et la Russie, que dans les réseaux sociaux et les médias ou comme par hasard, les soutiens du régime sont devenus d’ardents défenseurs de la Russie. Or beaucoup d’observateurs soupçonnent la main de la Russie derrière le basculement de la Centrafrique dans une cryptomonnaie dont elle ne détient pas pour l’instant l’infrastructure nécessaire pour en jouir pleinement, à savoir pas d’internet, moins de 15% de la population détenant un téléphone mobile et moins de 20% de ces 15% possédant un smartphone. Il est clair qu’afin de contourner le boycott de l’Occident, la Russie va certainement utiliser la cryptomonnaie centrafricaine pour recycler les milliards de francs CFA qu’elle amasse en Centrafrique actuellement en rémunération de ses services. Autres bénéficiaires de la cryptomonnaie, le régime au pouvoir en Centrafrique qui ne doit sa survie qu’a la Russie et qui par conséquent ne peut rien lui refuser, ainsi que tous ceux qui s’en sucrent, qui pourront sans éveiller le moindre soupçon, contourner le système bancaire classique pour facilement blanchir grâce à la cryptomonnaie, les fonds détournés des finances publiques et des différents trafics de métaux précieux auxquels ils se livrent. Et c’est surtout à ce niveau que l’expérience centrafricaine intéresse à double titre les autocraties qui meublent la Cemac dont le régime Biya Cameroun. Premièrement, elle leur donne l’occasion de tester la solidité d’une éventuelle alliance avec la Russie au cas où leur volonté d’instituer une transmission dynastique du pouvoir serait contrée par la France de Macron qui ne les rassure pas comme déjà dit. Ensuite, a l’instar de ceux de la Centrafrique, leurs dirigeants pourront désormais eux-aussi, avec la cryptomonnaie, blanchir et recycler plus facilement, même sur le marché international, les milliards qu’ils détournent des trésors publics, sans courir le risque de de se faire épingler par les occidentaux comme c’est le cas actuellement avec l’affaire Glencore. C’est probablement l’une des explications de l’expectative des gouvernements de la Cemac face à aventure centrafricaine et plus près de nous, la complicité des autorités camerounaises dans la fuite vers la RCA de l‘un des maitres-d ’œuvre du « Sangocoin » centrafricain, le camerounais Emile Parfait Simb, alors qu’il est officiellement poursuivi par la justice.
Et les organismes sous-régionaux, comment expliquer leur silence ? La première piste à explorer serait la dépendance de leurs dirigeant vis-à-vis des états qui les proposent à leurs postes et qui peuvent à tout moment leur retirer leur soutien, s’ils ne défendent pas leurs intérêts. Leur silence n’est donc que le reflet des hésitations des états membres, paralysés par les enjeux stratégiques ci-dessus expliques. La deuxième piste serait à rechercher dans l’infiltration de ces organismes par une sorte de mafia qui a gangrené le milieu de la cryptomonnaie en Afrique centrale et réussi à impliquer beaucoup de dirigeants de ces organismes à leurs manœuvres, a l’instar de Liyeplimal d’Emile Parfait Simb, actuellement poursuivi en justice pour escroquerie dans plusieurs pays. La Cemac, l’Umac et la Beac se trouvent ainsi pris au piège d’un processus qu’ils n’ont pas anticipé et qui les rend malgré eux complices de la violation de leurs propres textes. Par conséquent, leur silence risque ainsi de durer encore longtemps. Probablement jusqu’à ce que le Fmi qui les maintient sous perfusion ou la France, le tuteur de l’ombre, dont le président, Emmanuel Macron, est annonce dans la région dans quelques jours, tapent du poing sur la table.
Au bout de compte, pour paraphraser le chanteur Richard Bona, plus on croit comprendre le coup d’audace du président centrafricain Faustin-Archange Touadéra, plus il se complique. La seule certitude pour l’instant est qu’il est en train de faire bouger les lignes dans le domaine monétaire resté longtemps tabou dans une Afrique centrale maintenue sous leur chappe de plomb par quelques-unes des dictatures les plus obscurantistes du monde.
Billet de Evariste Fopoussi Fotso, Economiste