Le Premier ministre sénégalais, Ousmane Sonko, a lancé un appel solennel à la mobilisation et au devoir de mémoire, lors d’une cérémonie d’hommage aux victimes des violences politiques des années 2021-2024. Il a fixé des objectifs chiffrés ambitieux pour son parti, PASTEF, et annoncé la création de monuments mémoriels, tout en promettant que justice serait rendue.
Devant les familles des défunts, d’anciens détenus et des blessés, le chef du gouvernement a présenté un plan en deux volets. Le premier est politique et organisationnel : revitaliser 10 000 cellules du parti et atteindre le million d’adhérents actifs d’ici fin 2026. Le second est mémoriel et judiciaire : ériger un mémorial et un « panthéon de la démocratie » pour honorer les victimes, et garantir l’élucidation de chaque dossier. « Le plus grand danger aujourd’hui n’est plus la répression d’hier, c’est l’oubli », a-t-il affirmé.
Cette commémoration s’inscrit dans le sillage de trois années de crise politique marquée par de violentes manifestations. Celles-ci ont éclaté en 2021 après l’arrestation d’Ousmane Sonko, alors principal opposant, dans une affaire de viol, puis se sont poursuivies en 2023 et 2024 après sa condamnation pour « corruption de la jeunesse » et le report de la présidentielle. Selon les organisations de défense des droits humains, au moins 65 personnes ont été tuées, majoritairement par balle, et un millier blessées. Une loi d’amnistie, adoptée en mars 2024, avait couvert les faits liés à ces manifestations, permettant la libération de Sonko et de son dauphin, Bassirou Diomaye Faye, futur vainqueur de la présidentielle.
Les perspectives découlant de ce discours sont doubles. D’une part, une bataille politique et judiciaire s’annonce autour de la promesse d’abroger la loi d’amnistie, une annonce déjà faite par Sonko devant l’Assemblée nationale en décembre. Cette démarche, réclamée par les familles mais critiquée par d’anciens soutiens du régime Sall, risque d’être politiquement sensible. D’autre part, l’objectif du million d’adhérents actifs vise à transformer PASTEF, né d’un mouvement de protestation, en une machine politique durable et structurée, capable d’ancrer le pouvoir actuel bien au-delà du prochain cycle électoral.
Le discours de Sonko a habilement mêlé le registre émotionnel du deuil et la froide stratégie partisane. En rappelant aux familles que « vos enfants ne sont pas morts pour rien », et en jurant « nous ne vous trahirons jamais », le Premier ministre a renforcé le lien charismatique avec sa base militante, tout en canalisant cette énergie vers des objectifs organisationnels concrets. L’appel à intensifier les actions sociales (dons de sang, soutien scolaire) révèle la volonté de pérenniser un ancrage populaire qui fut l’un des moteurs de son ascension.
Cependant, ce projet mémoriel et judiciaire pose des défis de taille. La promesse de vérité et de justice devra se concrétiser face à un appareil judiciaire dont l’indépendance reste à démontrer, et dans un climat où la réconciliation nationale est fragile. Par ailleurs, la transformation de PASTEF en un grand parti de masse n’est pas mécanique : elle devra gérer les tensions internes, éviter la bureaucratisation et maintenir la ferveur militante initiale, tout en gouvernant le pays. Le pari de Sonko est de réussir la transition d’un leader de la rue à l’architecte d’une nouvelle donne politique institutionnelle, sans renier les racines de sa légitimité.



