Dans une lettre rendue publique le 8 décembre 2025, l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo a formellement demandé à l’un de ses avocats de saisir la Cour pénale internationale (CPI). Son objectif est de rouvrir le dossier des conflits qui ont déchiré la Côte d’Ivoire dans les années 2000, et plus particulièrement la guerre civile post-électorale de 2010-2011. Il justifie cette initiative par la nécessité impérieuse de “juger totalement” les faits pour éviter qu’ils ne se transforment en “injustice”.
La démarche de Laurent Gbagbo, conduite par son avocat Emmanuel Altit, vise explicitement à identifier et poursuivre “les instigateurs et les financiers” de la rébellion. L’ex-président entend aussi que la CPI examine les “empressements” de la communauté internationale, notamment de l’ONU et des pays occidentaux, dans l’organisation des élections de 2010. Un point central de sa requête est la demande de justice pour la communauté wê, qui a subi un massacre d’une particulière violence à Duékoué en 2011, où 817 personnes ont été tuées en trois jours, selon les chiffres des Nations unies.
Cette initiative s’inscrit dans le contexte encore douloureux d’une crise ivoirienne qui a connu plusieurs phases : la rébellion de 2002 ayant scindé le pays en deux, une période de transition instable, puis la présidentielle de 2010 dont la contestation a plongé le pays dans une guerre civile meurtrière faisant au moins 3000 morts. Laurent Gbagbo, arrêté en 2011 et transféré à la CPI, a été acquitté en 2019 des crimes contre l’humanité qui lui étaient reprochés. Son retour en Côte d’Ivoire en 2021 n’a pas signé la fin des interrogations sur les responsabilités complètes de ce conflit, dans un pays où la réconciliation nationale reste un processus fragile.
Les perspectives liées à cette nouvelle saisine sont incertaines. La CPI devra statuer sur la recevabilité de cette demande, qui intervient plusieurs années après les faits et alors que Laurent Gbagbo lui-même a déjà été jugé et acquitté. Quelle que soit la décision de la Cour, cette action relance dans l’espace public ivoirien un débat fondamental et potentiellement clivant sur la vérité judiciaire et historique. Elle pourrait aussi influencer le climat politique, à l’approche des futures échéances électorales, en remettant en lumière des épisodes traumatiques et les responsabilités de l’actuel pouvoir.
L’avocat Emmanuel Altit défend cette procédure comme un moyen nécessaire de “faire avancer les Ivoiriens”. Il affirme qu’il est essentiel de regarder le passé pour éviter de répéter les mêmes erreurs et pour que justice soit rendue aux survivants de l’ensemble de la crise, et pas seulement à ceux de la période post-électorale. Cette volonté de clarification totale répond, selon lui, à une exigence des victimes elles-mêmes, laissées sans réponse sur l’identité de tous les responsables.
Lorsqu’il est interrogé sur le fait que la lettre ne cite pas nommément l’actuel président Alassane Ouattara, mais que la démarche semble le cibler, Maître Altit adopte une position de prudence procédurale. Il indique que des communications et des conférences de presse ultérieures, une fois le dossier déposé, permettront d’en savoir plus sur “qui a fait quoi”. Il recentre le débat sur le principe de la responsabilité, affirmant que l’identification et la poursuite de tous les responsables déterminants sont la condition sine qua non pour que les Ivoiriens dépassent ce passé douloureux et avancent ensemble. Cette approche place la balle dans le camp de la justice internationale, tout en réactivant un dossier hautement sensible sur la scène nationale.



