Les élections législatives ivoiriennes du samedi 11 décembre se sont distinguées par une abstention massive, invalidant le scrutin par son ampleur. Selon les chiffres provisoires de la Commission électorale indépendante, le taux de participation n’a atteint que 32,34%, un niveau historiquement bas qui interroge la vitalité du contrat démocratique dans le pays.
Ce chiffre, annoncé dans la nuit du scrutin, confirme une tendance lourde de désaffection citoyenne. Il marque un nouveau recul par rapport aux législatives de mars 2021, qui avaient déjà enregistré une participation modeste de 37,88%. Malgré un corps électoral de plus de huit millions de personnes appelé à désigner 255 députés dans 205 circonscriptions, l’appel des urnes est resté sans écho pour près de sept électeurs sur dix, dans un scrutin où seulement 181 femmes figuraient parmi les 1.370 candidats.
Cette apathie électorale s’inscrit dans un contexte politique post-crise marqué par une succession de scrutins contestés et une polarisation persistante. Elle fait surtout suite à une présidentielle d’octobre 2020 boycottée par l’opposition historique, qui avait déjà creusé un fossé entre la classe politique et une partie de l’électorat. La recomposition des alliances, avec notamment le soutien controversé du PDCI au RHDP au pouvoir, et la persistance de fractures socio-économiques non résolues ont achevé d’éroder la confiance des Ivoiriens dans le processus électoral comme outil de changement.
Les perspectives immédiates sont celles d’une Assemblée nationale dont la légitimité populaire sera intrinsèquement affaiblie. Le parti présidentiel RHDP, qui détenait 163 sièges sur 255 dans la chambre sortante, pourrait conserver sa majorité, mais celle-ci sera dépourvue d’un véritable ancrage dans l’expression populaire. Cette situation risque de perpétuer un cycle de défiance, d’affaiblir la fonction de contre-pouvoir du Parlement et de complexifier la gouvernance, au moment où le pays doit relever d’importants défis sécuritaires et économiques.
Au-delà des chiffres bruts, cette abstention record est un symptôme d’un malaise profond. Elle exprime non seulement une lassitude face à une offre politique perçue comme fermée et répétitive, mais aussi un rejet d’un système où les décisions clés semblent échapper au débat parlementaire. L’échec des partis à mobiliser, y compris dans leurs bastions traditionnels, révèle une crise de représentation qui dépasse les clivages partisans habituels.
Les analyses pointent également la faible féminisation des candidatures, avec seulement 13% de femmes candidates, comme un révélateur supplémentaire du décalage entre les institutions et la société. Dans un pays où la jeunesse est démographiquement majoritaire, ce scrutin aura surtout été marqué par le silence d’une génération qui ne se retrouve plus dans les urnes comme moyen d’expression politique. Cette défiance pose une question fondamentale sur l’avenir du dialogue démocratique en Côte d’Ivoire et sur la capacité de ses dirigeants à réinventer un lien avec des citoyens de plus en plus désengagés.



