Le Bénin a été le théâtre d’une tentative de prise de pouvoir par la force dans la nuit de samedi à dimanche 7 décembre 2025. Un groupe de militaires, se présentant comme le Comité militaire pour la refondation (CMR), a brièvement occupé les studios de la télévision nationale pour annoncer la destitution du président Patrice Talon, la suspension de la Constitution et la dissolution des institutions. Dans la matinée, le ministre de l’Intérieur, Alassane Seïdou, a catégoriquement démenti la réussite de ce qu’il a qualifié de “mutinerie” menée par un “groupuscule”, assurant que les forces armées fidèles au régime avaient repris le contrôle total de la situation.
Selon les déclarations contradictoires diffusées, la séquence a débuté par la diffusion télévisée d’un communiqué du CMR, lu par le lieutenant-colonel Tigri Pascal, désigné président du comité putschiste. Les auteurs ont invoqué une série de griefs pour justifier leur acte : la détérioration de la sécurité face aux attaques jihadistes dans le nord, des problèmes de gestion du personnel militaire, des mesures sociales impopulaires et des restrictions politiques. Ils ont annoncé prendre “la plénitude des pouvoirs”, fermer les frontières et suspendre les partis politiques, tout en appelant paradoxalement la population à vaquer à ses occupations. La réponse officielle fut rapide. Le ministre Seïdou a affirmé que la hiérarchie militaire était restée “républicaine” et qu’une riposte avait mis un terme à la manœuvre. Aucune information n’a toutefois été donnée sur l’emplacement ou la situation du président Talon au moment des faits.
Cet épisode turbulent survient dans un climat de fortes tensions. Politiquement, le pays s’achemine vers une présidentielle en avril 2026 dans un cadre verrouillé, après l’exclusion du principal parti d’opposition, Les Démocrates, du scrutin. Socialement, des mesures d’austérité et des réformes contestées ont alimenté un mécontentement latent. Sur le plan sécuritaire, le nord du Bénin est de plus en plus affecté par la violence jihadiste, avec une attaque ayant officiellement coûté la vie à 54 militaires en avril 2025. Ces facteurs combinés créent un terreau fertile pour l’instabilité, même si le pouvoir de Patrice Talon, réélu en 2021 dans des conditions controversées, était jusqu’ici considéré comme solidement ancré.
À court terme, le gouvernement devra faire la lumière sur cet événement, identifier et juger les mutins, et rassurer quant à l’unité des forces armées. La confusion qui a régné pendant plusieurs heures, ainsi que les divergences audibles en coulisse lors de la lecture du communiqué putschiste, interrogent sur l’étendue réelle des complicités au sein de l’appareil militaire. À plus long terme, cet épisode révèle les fragilités d’un régime confronté à une défiance croissante. Il risque d’entraîner un durcissement politique, avec une répression accrue contre l’opposition et la société civile au nom de la stabilité. Enfin, dans une sous-région ouest-africaine minée par les coups d’État, de la Guinée au Niger en passant par le Burkina Faso et le Mali, cet événement au Bénin, pays considéré comme un bastion de la démocratie, envoie un signal inquiétant quant à la résilience des institutions.
La stratégie de communication du gouvernement, qui minimise l’événement en le qualifiant de simple “mutinerie” et affiche un retour à la normale immédiat, contraste avec la gravité des annonces faites par les putschistes et le silence maintenu sur le président. Ce décalage peut nuire à la crédibilité du régime. Les déclarations des mutins, bien que chaotiques, pointaient des problèmes réels et largement partagés au sein de la population et de l’armée, que le pouvoir ne pourra plus ignorer. Leur diagnostic, même exprimé par des moyens illégitimes, agit comme un révélateur des fractures béantes du pays.
Historiquement stable et présenté comme un modèle démocratique en Afrique de l’Ouest, le Bénin traverse sa crise la plus sérieuse depuis l’instauration du multipartisme. L’épisode du 7 décembre démontre que la présidentialisation excessive du pouvoir, l’érosion des libertés et les tensions socio-économiques peuvent conduire à des explosions de violence, même dans des pays réputés pour leur culture du compromis. La capacité des autorités à gérer cette crise avec transparence, à engager un dialogue national inclusif et à répondre aux urgences sécuritaires et sociales sera déterminante pour l’avenir du pays. Le rétablissement de l’ordre affirmé par le ministre de l’Intérieur ne suffira pas à restaurer la confiance ; il doit s’accompagner d’actes politiques forts pour éviter une récidive, potentiellement plus déstabilisatrice encore.



