Des marchés jugés réguliers par la Chambre des comptes et une dette remboursée à tempérament par l’Etat au cœur du procès contre l’ex-ministre de la Défense. Le rouleau compresseur résolument à l’œuvre.
La volonté manifeste de choquer l’opinion publique sur l’ampleur de la prédation supposée d’Edgard Alain Mebe Ngo’o sur la fortune publique a conduit l’accusation à monter des preuves qui fondent comme neige au soleil, à mesure qu’avance la procédure judiciaire contre lui. Sous mandat de détention provisoire à la prison centrale de Yaoundé-Kondengui depuis le 08 mars 2019, l’ex-ministre délégué à la présidence de la République chargé de la Défense (MINDEF) est poursuivi devant le Tribunal criminel spécial (TCS) pour « détournement de 196,8 milliards Fcfa dans le cadre de la convention de financement signée avec l’entreprise chinoise Poly-Technologies Inc. pour la livraison d’équipements militaires » ; « détournement de 20,374 milliards Fcfa par le biais de marchés spéciaux supposés surfacturés et fictifs et deux décisions de déblocage de fonds sans pièces d’emploi » ; « corruption » ; « blanchiment aggravé de capitaux d’un montant avoisinant 20 milliards Fcfa » ; et « prise d’intérêt » dans un acte ».
Les 196,8 milliards Fcfa de la convention avec la Chine ont, selon l’accusation, été détournés en 2015. Mais, curieusement, le règlement par acomptes de cet emprunt apparaît dans le service de la dette extérieure de l’Etat du Cameroun, si l’on s’en tient aux notes de conjoncture respectives publiées par la Caisse autonome d’amortissement (CAA). Les projections du principal de la dette publique extérieure existante de 2016 à 2036 indiquent clairement que la dette prétendument détournée par Edgard Alain Mebe Ngo’o est remboursée à tempérament, et que l’échéance est prévue cette année 2022 avec le règlement d’un dernier acompte de 20 milliards Fcfa. L’ex-MINDEF répond également devant le TCS, du détournement présumé de plus de 26,180 milliards Fcfa au titre de marchés spéciaux supposément surfacturés et fictifs. En fait de marchés spéciaux irréguliers, cinq autres d’un montant cumulé de plus de 5,756 milliards Fcfa toutes taxes comprises (Ttc) sont entièrement mis au passif de l’ancien membre du gouvernement.
Incongruités
Autrement dit, la Tva de plus de 1,108 milliard Fcfa prélevée sur ces marchés et qui n’est pas censée être sortie des caisses du trésor public est également réclamée à l’accusé. Autant d’incongruités qui questionnent, et qui amènent les avocats du prévenu à se demander pourquoi aucun contrôleur financier n’a jusque-là été interrogé dans le cadre de cette procédure et surtout, comment le TCS en vient à mettre en doute des avis de la Chambre des comptes de la Cour suprême, qui a pourtant certifié les marchés objets du procès contre l’ex-MINDEF. « Si tant est que c’est la manifestation de la vérité qui est recherchée, pourquoi aucun contrôleur financier n’a été interrogé depuis l’entame de cette procédure. Le contrôleur financier, il faut le rappeler, est un acteur clé, incontournable dans la chaîne de passation de marchés publics, car, c’est lui effectivement qui est juge de la « régularité de la dépense publique ».
« Par ailleurs, le TCS va-t-il faire mentir les lois de règlement des différents exercices incriminés qui ont été votées par le Parlement, promulguées par le président de la République après avis conforme de la Chambre des comptes et qui toutes établissent formellement qu’aucun détournement n’a été perpétré ni par l’ancien MINDEF, ni par aucun de ses complices co-accusés ? », s’interroge l’un des avocats de la défense. Précision : la période infractionnelle avait été circonscrite entre 2010 et 2014, mais au cours de l’information judiciaire qui devait être bouclée six mois au maximum après son ouverture conformément aux délais légaux contenus dans la loi portant création du TCS, deux autres réquisitoires supplétifs seront pris par le parquet général près cette juridiction, élargissant la période infractionnelle à l’année 2015. Autrement dit, les poursuites couvrent depuis lors la période 2010-2015.
Arrêt des poursuites
Les avocats de l’ancien délégué général à la Sûreté nationale (DGSN) et ceux de ses co-accusés, notamment son épouse Bernadette Minla Nkoulou, Emmanuel Victor Menye (ancien directeur général adjoint de la Société camerounaise de Banque), le colonel Ghislain Victor Mboutou Elle (ancien secrétaire particulier de Mebe Ngo’o), soutiennent que le rouleau compresseur mis en branle contre eux s’appuie sur les seules « allégations mensongères » de sieur Maxime Léonard Mbangue, ancien conseiller technique au MINDEF, également co-accusé dans la présente procédure. Les déclarations de ce témoin clé de l’accusation ont d’ailleurs constitué le fil conducteur de la procédure, du moins jusqu’au crash intervenu le 14 février dernier à l’entame de sa cross-examination (contre-interrogatoire). Cet inspecteur du trésor était passé aux aveux devant le tribunal, en refusant de répondre aux questions des avocats de ses coaccusés relativement à ses propres déclarations lors de l’enquête préliminaire. Pendant cinq heures d’horloge, il s’est muré dans le déni total.
Cette évolution compromet la suite de la procédure et fonde même les avocats de la défense à demander l’arrêt des poursuites contre leurs clients, en brandissant l’article 311 du Code de procédure pénale qui dispose : « le tribunal ne peut fonder sa décision sur la déposition d’un coprévenu, à moins qu’elle ne soit corroborée par des témoignages d’un tiers non impliqué dans la cause ou par tout autre moyen de preuve ». La prochaine audience dans l’affaire Mebe Ngo’o et compagnie aura lieu les 23 et 24 juin prochain.