Moins de vingt-quatre heures après avoir quitté son poste de ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle, Issa Tchiroma Bakary a officialisé sa candidature à la présidentielle camerounaise. Dans une longue « Lettre aux Camerounais » rendue publique le 24 juin, l’ex-proche de Paul Biya tourne le dos à son ancien mentor et affirme vouloir incarner une « alternative historique » face à un régime qu’il qualifie d’« essoufflé ».
Dans ce texte de 24 pages, Issa Tchiroma dresse un diagnostic sévère du système politique auquel il a participé pendant plus de deux décennies. Il y reconnaît les limites du pouvoir et critique sans détour la personnalisation du régime : « Un pays ne peut exister au service d’un homme. Il doit vivre au service de son peuple », écrit-il, en référence à Paul Biya. L’ancien porte-parole du gouvernement se présente désormais comme un homme en rupture, déterminé à « rendre le pouvoir au peuple ».
Issa Tchiroma n’a pas toujours été une voix critique. Ancien ministre de l’Information, puis de l’Emploi, membre loyal de plusieurs gouvernements successifs, il a été l’un des défenseurs les plus fervents du président Biya, n’hésitant pas à prendre les devants dans les moments de crise. Son retournement actuel, bien que spectaculaire, suscite scepticisme et interrogations, notamment parmi les opposants de longue date qui peinent à voir en lui une figure de rupture crédible.
Au-delà de la dénonciation, la lettre dévoile les grandes lignes du programme de Tchiroma. Il y plaide pour une refonte institutionnelle, prônant notamment un retour à un « fédéralisme choisi », censé mieux répondre aux aspirations des différentes régions du pays. Il évoque également la nécessité de réformes structurelles pour lutter contre la corruption, renforcer l’État de droit et moderniser l’économie. Autant de propositions qui visent à donner du contenu à sa candidature.
À peine sa lettre diffusée, le ministère de l’Administration territoriale a répliqué. Un arrêté adressé au gouverneur de l’Extrême-Nord — région d’origine de Tchiroma — interdit toute activité politique de son parti, le FSNC, dans un département de la zone. Cette réaction rapide du pouvoir en place laisse présager une campagne électorale tendue, où l’ancien ministre devra désormais affronter l’appareil d’État qu’il connaît si bien.
Reste à savoir si Issa Tchiroma parviendra à se forger une légitimité en tant qu’opposant. Son passé au sein du régime, ses volte-face et son discours récent, aussi critique soit-il, ne suffiront pas à convaincre une opinion méfiante. Il lui faudra non seulement démontrer la sincérité de sa rupture, mais aussi prouver qu’il incarne autre chose qu’une reconversion opportuniste en pleine fin de règne.