Le 3 juin, la Cour pénale spéciale (CPS) de Centrafrique a marqué ses dix ans d’existence. Créée pour juger les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis depuis 2003, cette juridiction hybride basée à Bangui se trouve à un tournant. Si son président salue des avancées concrètes, de nombreuses voix dans la société civile dénoncent un bilan encore largement insuffisant.
Depuis ses premières enquêtes entamées entre 2018 et 2019, la CPS a organisé trois procès majeurs. Le premier a abouti à des condamnations définitives, assorties de réparations. Les deux autres affaires, connues sous les noms de Ndélé 1 et Ndélé 2, sont presque achevées, selon Landry Michel Louanga, président de la Cour. Au total, dix personnes ont été jugées, dont trois condamnées de façon définitive. Mais pour nombre de victimes, ce rythme reste trop lent face à l’ampleur des crimes commis.
L’association des victimes unies de Centrafrique (AVUC), par la voix de son fondateur Etienne Oumba, dénonce une justice partielle. « On ne juge que les exécutants, jamais les commanditaires », déplore-t-il, pointant du doigt l’influence supposée du pouvoir politique sur la CPS. Ces accusations touchent au cœur de la légitimité de la Cour, qui était censée incarner la fin de l’impunité. Louanga, lui, affirme n’avoir jamais subi de pression, assurant que l’indépendance des juges est garantie.
Les critiques adressées à la CPS s’inscrivent aussi dans un contexte de fragilité institutionnelle. Le désengagement des États-Unis, qui finançaient jusqu’à un million de dollars par an, a fortement réduit les moyens de la Cour. Cette perte compromet son fonctionnement, son indépendance, et sa capacité à élargir le champ de ses investigations. Sans financements durables, l’ambition d’une justice impartiale et efficace devient difficile à tenir.
Pour beaucoup de Centrafricains, la CPS reste un symbole d’espoir, même imparfait. Sa création en 2015 avait suscité un large consensus en faveur de la lutte contre l’impunité, dans un pays meurtri par des années de conflits. Mais dix ans plus tard, les attentes restent en grande partie insatisfaites. Si la volonté de rendre justice existe, elle se heurte à une réalité politique, logistique et financière qui bride l’élan initial.
En dépit de ses faiblesses, la CPS demeure une structure indispensable pour lutter contre les crimes graves commis en Centrafrique. Elle pose les bases d’une culture judiciaire tournée vers la responsabilité et la reconnaissance des droits des victimes. Mais pour s’imposer durablement, elle devra gagner en efficacité, en indépendance réelle et en légitimité aux yeux de la population.