Le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra a signé un décret autorisant la mise en vente de près de 2 000 hectares de terres via une cryptomonnaie locale baptisée $CAR, adossée à la blockchain Solana. Ces parcelles, proposées sous forme de jetons numériques, seront accessibles à partir de juin pour des concessions de 99 ans. Ce projet marque une nouvelle tentative de la République centrafricaine de s’insérer dans l’économie numérique par le biais d’un memecoin, malgré les échecs précédents.
Selon les déclarations officielles, ce mécanisme de “tokenisation” des terres vise à attirer des investisseurs et à générer des revenus pour l’État. Le $CAR, inspiré du memecoin TRUMP, promet à ses principaux détenteurs des privilèges exclusifs, dont une rencontre avec le président. Mais l’annonce a surtout retenu l’attention pour ses aspects fonciers : les terres mises en vente sont situées à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Bangui et pourraient abriter des projets miniers, ce que laisse entendre le décret présidentiel.
Ce projet crypto n’est pas une première pour Bangui. En 2022, le gouvernement avait lancé une plateforme baptisée Sango, censée devenir un hub africain des crypto-actifs. Le projet, mal encadré et peu transparent, avait rapidement perdu en crédibilité et avait été abandonné dans les faits. Cette nouvelle initiative semble prendre le relais, tout en reprenant les recettes du passé : une ambition technologique portée par une gouvernance peu lisible et une communication essentiellement tournée vers l’extérieur.
Plusieurs zones d’ombre entourent ce projet. D’abord, la nature des terres vendues — potentiellement riches en ressources minières — soulève des inquiétudes sur une possible spoliation des biens publics au profit d’intérêts privés, voire étrangers. Ensuite, la structure de la cryptomonnaie elle-même pose problème : 76 % de sa liquidité est détenue par seulement quatre portefeuilles, ce qui accroît les soupçons de manipulation du marché. Malgré ces réserves, le token $CAR a vu son cours grimper de 121 % après l’annonce, avant de retomber brutalement.
Cette opération survient dans un contexte géopolitique sensible. La République centrafricaine reste sous l’influence militaire et économique du groupe paramilitaire russe Wagner, présent sur plusieurs sites miniers du pays. L’opacité du projet CAR et le choix de terres potentiellement exploitables renforcent les soupçons d’un usage détourné de cette technologie pour faciliter des transferts de propriété à des entités proches du pouvoir ou d’acteurs étrangers controversés.
Derrière cette initiative, se dessine une stratégie de “crypto-fiscalité foncière” inédite sur le continent. En misant sur un memecoin pour monétiser les terres publiques, Bangui fait le pari risqué de remplacer l’État régulateur par une logique de marché décentralisé. Une telle bascule, si elle échoue, pourrait affaiblir encore davantage les capacités de l’État à contrôler ses ressources stratégiques.