Le chef de l’État comorien revient sur la situation économique délicate que traverse son pays, tout en insistant sur la nécessaire unité politique de l’archipel.
Invité par l’Élysée pour assister aux célébrations du 14 juillet, le président de l’Union des Comores, Azali Assoumani, a profité de ces quelques jours dans la capitale française pour recevoir Jeune Afrique. L’occasion pour le chef de l’État comorien de faire passer certains messages auprès de la communauté internationale et des investisseurs privés, plus que jamais sollicités pour remettre sur les rails une économie insulaire mise à mal par la crise sanitaire, et par les conséquences alimentaire et énergétique de l’actuel conflit ukrainien.
Pour sortir l’archipel de son isolement géographique amplifié par la pandémie, Azali Assoumani est bien décidé à prendre son bâton de pèlerin. Il espère convaincre les partenaires bilatéraux et multilatéraux de confirmer les 4 milliards de dollars promis lors de la conférence des bailleurs organisée par les Comores à Paris fin 2019, mais gelés depuis l’irruption du virus. Son objectif est simple : il s’agit de disposer de moyens financiers suffisants pour relancer le Plan Comores émergents, et permettre ainsi à son pays de retrouver la dynamique de développement qui était la sienne avant le Covid-19, quand la Banque mondiale classait l’Union des Comores parmi les pays à revenu intermédiaire.
En veillant au rééquilibrage socioéconomique entre les trois îles, le président Assoumani espère aussi mettre un terme aux tentatives de séparatisme qui empoisonnent l’archipel depuis son indépendance. Avant de trouver, avec la France, une solution de compromis acceptable par tous sur la question mahoraise.
Vos priorités sont-elles davantage d’ordre politique qu’économique ?
Azali Assoumani : Elles sont avant tout économiques, puisqu’aux conséquences de la pandémie de Covid 19, se sont ajoutées celles de la crise ukrainienne qui nous fragilisent encore davantage, notamment sur les volets alimentaire et énergétique, domaine où nous importons chaque année près des trois quarts de nos besoins. La flambée des cours du pétrole, des céréales, en attendant peut-être celle des produits pharmaceutiques, nous oblige à trouver des solutions en annulant certaines taxes à l’importation ou en subventionnant les prix, à hauteur de 40 % par exemple pour le riz importé du Pakistan. Ce sont des aides conséquentes qui pèsent très lourd sur les finances de l’État.
D’où provient l’argent dont vous avez besoin ?
Nous avons la chance d’avoir des partenaires bilatéraux et multilatéraux qui nous apportent leur soutien, notamment dans le domaine énergétique. Et le fait qu’ils nous accompagnent aujourd’hui montre que les Comores disposent d’un crédit certain auprès de la communauté internationale. Nous avons également réussi à dégager des fonds propres pour financer quelques investissements, comme l’achat de groupes électrogènes, et pour régulariser les salaires dans la fonction publique. Nous comptons bien poursuivre sur cette voie, même s’il est certain que la conjoncture limite nos capacités.
SUR LE SÉPARATISME, NOUS AVONS GAGNÉ UNE BATAILLE EN 1997, MAIS PAS LA GUERRE
Comment comptez-vous relancer la dynamique avec les bailleurs de fonds, inaugurée lors de la conférence de Paris en décembre 2019 et plombée par la pandémie de Covid-19 ?
Certains projets ont réussi à démarrer grâce aux premiers décaissements réalisés début 2019 par la Banque mondiale dans les énergies renouvelables, ou par la France pour soutenir l’insertion de nos jeunes dans le monde du travail. Mais l’idée est de pouvoir redémarrer nos programmes phares d’ici la fin de cette année ou, au plus tard, le début de la prochaine. Nous tiendrons un séminaire gouvernemental sur cette question en septembre, afin de voir comment relancer la machine. Les bailleurs nous avaient promis 4 milliards de dollars à l’époque, et nous sommes prêts à les faire venir à Moroni, ou à nous déplacer, pour les convaincre de concrétiser leurs promesses dans le tourisme, l’énergie, la mobilité, le social avec la santé et l’éducation…
Où en sont les projets pétroliers du pays ? Profitez-vous de votre passage à Paris pour rencontrer certains opérateurs ?
Nous sommes en train de revoir les autorisations de prospection accordées avant mon arrivée à la présidence. Je ne rencontre donc personne à ce sujet durant mon séjour en France, car cela aurait été prématuré. Le plus important pour nous aujourd’hui est de nous assurer que l’arrivée programmée de ce pétrole soit une chance pour l’ensemble du pays, et pas seulement pour l’île la plus proche des gisements potentiels. Il ne doit pas renforcer les tentations séparatistes, mais bien la notion d’intérêt commun.
Le séparatisme est-il selon vous toujours une menace pour l’Union des Comores ?
Oui. Nous avons gagné une bataille en 1997, mais pas la guerre. Le risque est aujourd’hui verrouillé par le système juridique et réglementaire, mais il existe toujours dans les consciences. C’est pour cela que nous insistons sur les valeurs communes à nos trois îles, afin que la population de l’ensemble du pays puisse s’en imprégner. Les gens doivent devenir Comoriens, avant d’être Anjouanais ou Mohéliens. À nous de retenir les enseignements des crises séparatistes antérieures, d’où l’importance de veiller au rééquilibrage des territoires déjà mis en avant par le président Saïd Mohamed Djohar dans les années 1990.
Face à l’urgence économique, quel est l’agenda politique ?
Les prochaines élections présidentielles sont en 2024, et nous devons d’ici là mettre en place un nouveau redécoupage électoral pour que les députés soient dorénavant tous élus et non plus désignés en fonction de leurs origines insulaires, comme c’est encore le cas pour quelques-uns d’entre eux. Nous voulons également créer une structure permanente pour gérer le suivi des dossiers socioéconomiques et ainsi pouvoir anticiper des crises telles que celles du Covid-19 ou de l’Ukraine. Notre ambition est de mettre en place un cadre de dialogue entre pouvoir, opposition, secteur privé et société civile, pour que nous puissions travailler ensemble à la résolution de problèmes de portée nationale.
J’ESPÈRE QUE LE PROCÈS DU PRÉSIDENT SAMBI POURRA S’OUVRIR DANS LES TOUS PROCHAINS MOIS
Comment s’est passé le dialogue national que vous avez initié à la fin de l’année dernière ?
Très bien, puisque la plupart des partis de l’opposition ont accepté d’y participer, sous l’égide de l’Union africaine (UA) et de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Nous avons réussi à nous mettre d’accord sur la création d’un cadre politique de concertation qui, en réunissant majorité et opposition, doit nous garantir des élections apaisées en 2024. Nous travaillons également ensemble pour donner un statut officiel à l’opposition et définir les droits et les devoirs de chacun, dans l’intérêt du pays.
Inculpé pour corruption en 2018, l’ancien président Ahmed Abdallah Sambi est toujours en résidence surveillée à Moroni, dans l’attente de son jugement. Ne pensez-vous pas que cette situation a trop duré ?
Cette situation commence en effet à devenir préoccupante, et il est certain que la justice doit maintenant agir. En tant que président, j’entends bien entendu garantir l’indépendance de la justice, mais ma priorité est aujourd’hui d’accélérer un processus, qui après quatre ans, commence à nuire à l’image du pays, renforçant son image de dictature à l’international. J’espère que le procès du président Sambi pourra s’ouvrir dans les tous prochains mois, avant la fin de cette année en tous les cas.
Vous êtes à Paris pour quelques jours, sur l’invitation du président Macron : avez-vous pu discuter ensemble du dossier mahorais ?
Nous nous sommes vus quelques instants, mais rien d’officiel. Ce que j’ai déjà eu l’occasion de dire au président Macron, c’est qu’il y a tellement d’intérêts convergents entre les Comores et la France que Mayotte seule ne peut nuire à ces intérêts. Mayotte doit nous unir, pas nous diviser. Son arrivée à l’Élysée a permis de relancer des discussions qui étaient au point mort, et nous sommes aujourd’hui d’accord pour trouver une solution à l’amiable, dans l’intérêt de nos deux pays.
Avec plus de 300 000 Comoriens établis en France, partenaire historique aujourd’hui encore très investi dans le développement de l’archipel, nous n’avons pas d’autre choix que de discuter pour définir ensemble une feuille de route. L’urgence est d’investir aux Comores pour que ses populations n’aient pas besoin d’aller chercher ailleurs ce qu’elles devraient être en mesure de trouver chez elles. Quelle forme d’unité devons-nous trouver pour que tout le monde soit satisfait ? C’est exactement de cela dont nous devons parler avec le président Macron.