À quelques semaines du coup d’envoi de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) 2025 au Maroc, les télévisions publiques francophones tentent une ultime manœuvre. Elles cherchent à obtenir la diffusion en clair de plus de matchs que les 32 rencontres qui leur sont actuellement allouées sur les 52 que compte la compétition. Cette démarche tardive met en lumière les tensions récurrentes entre les impératifs d’accessibilité pour le public et la logique commerciale des droits de diffusion sportifs.
Le différend oppose un collectif de diffuseurs publics, incluant notamment les télévisions du Sénégal, du Cameroun, du Gabon et de la Côte d’Ivoire, à la société New World TV. Cette dernière détient, depuis novembre 2023, les droits exclusifs de diffusion en clair et payants de toutes les compétitions de la Confédération africaine de football (CAF) pour trois ans. Dans ce cadre, c’est à elle de sous-licencier les matchs aux chaînes nationales. Les télévisions publiques jugent le quota de 32 matchs en clair insuffisant et réclament l’accès à l’intégralité de la compétition, invoquant un « principe d’accès universel » pour les populations.
Ce conflit s’inscrit dans une évolution structurelle de la commercialisation des droits TV de la CAN. Longtemps gérée par des consortiums comme l’Union africaine de radiodiffusion (UAR), la vente des droits a été externalisée par la CAF à un opérateur privé, New World TV, basé à Lomé. L’objectif affiché est d’en maximiser la valeur commerciale, à l’instar des modèles de la FIFA ou de l’UEFA. Pour la CAN 2023 en Côte d’Ivoire, le nombre de matchs en clair était fixé à 28. L’opérateur souligne avoir négocié une hausse à 32 pour l’édition 2025, une progression qu’il présente comme une victoire pour les diffuseurs gratuits.
Les perspectives d’une résolution favorable aux chaînes publiques avant le début de la compétition, le 21 décembre, sont minces. Les paramètres, dont le nombre de matchs en clair, sont figés dans le contrat-cadre entre la CAF et New World TV et ne peuvent être modifiés unilatéralement. La question qui se pose désormais est de savoir si ce modèle sera infléchi pour les éditions futures. La CAF pourrait-elle revoir la proportion de matchs en clair dans ses appels d’offres ? À l’inverse, les télévisions publiques pourront-elles se doter de modèles économiques plus robustes pour acquérir davantage de contenus premium ?
L’argument financier est central dans ce débat. Les chaînes publiques africaines opèrent avec des budgets extrêmement contraints, souvent dépendants des subsides étatiques. Elles estiment « économiquement inéquitable » d’appliquer un modèle conçu pour des marchés européens solvables à des économies aux mécanismes de financement radicalement différents. Leur marge de manœuvre pour surenchérir est quasi inexistante, alors que New World TV, en position de force, rappelle que pour obtenir plus de matchs, il faut payer plus.
La temporalité des protestations interroge également. Des accords de sous-licence, comme celui conclu par la chaîne ivoirienne NCI en juillet, étaient connus depuis des mois, précisant le volume de matchs en clair. Le fait que les objections les plus vives émergent si tardivement, à l’approche du coup d’envoi, affaiblit la position des diffuseurs publics. Cela donne l’impression d’une manœuvre de dernière minute pour tenter de faire pression sur l’opinion publique et les autorités politiques, plutôt que d’une négociation stratégique menée en amont.
Au-delà du bras de fer commercial, cet épisode révèle un enjeu sociétal profond. La CAN reste un événement fédérateur majeur, perçu comme un bien commun par des millions de supporters. La restriction de l’accès télévisuel gratuit crée une frustration réelle et pose la question du rôle des États, qui financent en partie les sélections nationales, dans la garantie d’une diffusion large. Alors que le ballon va bientôt rouler, ce conflit insoluble pour 2025 laisse entrevoir des batailles encore plus rudes pour l’avenir des droits sportifs sur le continent.



