Selon une note confidentielle émanant d’un responsable de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac) qui a organisé le 28 mai dernier un recrutement des agents d’encadrement supérieur, le processus devrait être annulé du fait des « défaillances significatives » enregistrées notamment à Libreville au Gabon et Yaoundé au Cameroun.
À en croire la note rédigée par Bienvenu Marius Roosevelt Feimonazoui, le DG du Contrôle général (DG-CG) à la Beac, à Libreville, la détention d’un document d’identité valide était théoriquement une condition sine qua non pour pouvoir accéder aux salles d’examen. Cependant, dans les faits, même « des candidats ne remplissant pas cette condition ont été admis à concourir. De plus, les organisateurs n’ont pas respecté l’horaire de début des épreuves prévu pour 9 heures avec fermeture des portes à 8 heures ». La raison invoquée, selon la compréhension des organisateurs sur place, il fallait permettre à tous les candidats d’arriver alors que l’heure de début avait fait l’objet d’une communication publique.
« Ainsi jusqu’à 9 heures passées, des candidats étaient toujours autorisés à entrer dans les salles de concours. En outre, même après la fermeture des portes, les candidats sont restés plus d’une heure et demie dans les salles sans débuter les épreuves et sans qu’on ne leur fournisse d’explication précise sur les raisons de ce retard. Cette situation a entraîné une désorganisation préjudiciable au bon déroulement des épreuves », révèle le responsable de la Banque centrale.
Toujours selon lui, il ressort donc de ces événements que le concours pour ce recrutement de la Beac a été entaché de « nombreuses irrégularités » ne donnant pas à tous les candidats les mêmes opportunités de réussite. Pis, cela a même entraîné un risque de fraude important. Ce risque de fraude est notamment matérialisé du fait du décalage dans le début des heures effectives de début de concours et de l’existence des pauses favorisant la communication des informations sur les épreuves des candidats des centres ayant débuté à l’heure prévue vers les candidats des centres ayant débuté avec retard, d’une part, et de l’obligation d’autoéclairage des candidats via leurs téléphones portables, leur donnant accès à internet et à la consultation des réponses aux épreuves, d’autre part.
Cas de Yaoundé au Cameroun
En dehors des irrégularités relevées à Libreville, Bienvenu Marius Roosevelt Feimonazoui révèle que des faits presque similaires ont été vécus au centre d’examen de Yaoundé, la capitale du Cameroun. Dans le cas de ce pays, affirme-t-il, il apparaîtrait, selon les informations parcellaires recueillies par ses services, que les copies des épreuves n’étaient pas disponibles dans les délais prévus et que des photocopies de ces dernières aient été effectuées, le jour même, dans des conditions ne garantissant ni leur confidentialité ni leur exhaustivité.
Par exemple, jusqu’à 9 heures passées, les épreuves relatives à la monétique n’avaient toujours pas débuté. En conséquence, le caractère tardif de la mise à disposition des épreuves de monétique ayant eu pour effet de décaler leur démarrage, ces dernières se sont également achevées tard dans la soirée, à près de 02 heures du matin, le lendemain. De plus, les candidats ayant choisi de passer les épreuves en anglais n’ont pas pu le faire dans la langue choisie.
« Si pour les épreuves de culture générale, des copies en anglais ont été mises à leur disposition, pour les épreuves spécifiques, les copies n’étaient pas disponibles dans cette langue et les candidats ont dû composer en français se voyant ainsi pénalisés du fait de l’organisation du concours », écrit le DG-CG.
Il mentionne également que, les salles de classe du centre d’examen de Yaoundé étaient privées d’éclairage comme le montrent certaines vidéos circulant déjà sur les réseaux sociaux. Cette situation n’a pas permis aux candidats de composer dans des conditions satisfaisantes et les a contraints à s’éclairer à l’aide de leurs téléphones portables, chose proscrite dans ce concours. Ils avaient ainsi potentiellement accès à certaines réponses aux questions posées par le biais d’internet.
Enfin, dans le cas du Cameroun, les vérifications d’identité et la problématique de l’acceptation ou non des récépissés de la Carte nationale d’identité (CNI), pourtant tolérés lors du dépôt des dossiers de candidature, ont entraîné des files d’attente interminables et un accès lent des candidats aux salles d’examen.
Risque d’annulation du recrutement
Le DG-CG conclut sa note en suggérant d’annuler ce processus de recrutement. Il écrit à ce propos : « Les préconisations ultimes et en phase avec les écarts constatés mais également plus onéreuses et potentiellement porteuses d’évolutions structurelles seraient, soit de reprendre entièrement ce concours pour l’ensemble des centres, tout en tirant les leçons l’ayant entaché et surtout en modifiant entièrement les acteurs, d’une part, soit d’annuler purement et simplement ce concours en vue de s’aligner sur les meilleures pratiques en termes de recrutements, moins susceptibles d’entraîner, du fait d’une massification des modalités y afférentes, les dérives observées pour ce concours ».
Dans la même veine de cette recommandation du DG-CG, le président de l’Union monétaire de l’Afrique centrale (UMAC) et par ailleurs, président du conseil d’administration de la Beac, Hervé Ndoba, a ainsi saisi, le 1er août 2022, le gouverneur de la Banque centrale pour relever les « incidents significatifs » de nature à altérer la nature et la crédibilité de ce recrutement. Aussi, a-t-il instruit au gouverneur de surseoir, de manière immédiate à ce processus de recrutement et de convoquer une session extraordinaire de la Beac afin que des mesures « adéquates » soient prises.
Le lendemain, le 2 août, le gouverneur de la Beac, Abbas Mahamat Tolli, lui a opposé une fin de non-recevoir. « Il me paraît de toute évidence que contraindre le gouverneur de la Banque centrale à convoquer des sessions extraordinaires du conseil d’administration et du comité ministériel sur une question relevant purement de la gestion opérationnelle, est contraire aux statuts de la Banque centrale (article 47.5) et constituerait un dangereux précédent », a-t-il répondu.
Le nouveau Gabon