L’accord passé en 2011 entre les autorités botswanaises et le géant du diamant De Beers, que le chef de l’État Mokgweetsi Masisi a récemment jugé défavorable à son pays, est-il un accord équilibré ? Pour David Sebudubudu, professeur de sciences politiques à l’Université du Botswana, les questions du gouvernement botswanais sont légitimes. Entretien.
« Si nous ne parvenons pas à un accord gagnant-gagnant, chaque partie devra faire ses bagages et rentrer chez soi ». La menace formulée dimanche par le président botswanais Mokgweetsi Masisi est à peine voilée. Depuis 2011 et la signature d’un quasi accord d’exclusivité, De Beers produit 95% des diamants extraits au Botswana, via une société commune Debswana détenue à 50-50 par les deux parties.
Debswana vend ensuite aux enchères sur le marché international les diamants extraits. Selon l’agence de presse Bloomberg, elle reverse au gouvernement environ 80% de ses bénéfices sous forme d’impôts, de taxes et de dividendes. Mais Gaborne veut plus. Au terme de l’accord signé en 2011, les autorités recevaient pour leur propre commercialisation 10% des diamants de Debswana. Une part portée à 25% en 2020 lors d’une première renégociation.
Le Botwana entend manifestement commercialiser davantage de pierres précieuses par ses propres canaux. Le pays a aussi fortement développé son industrie de la taille et du polissage. Il espère devenir à terme un acteur du marché de la joaillerie.
La demande du gouvernement botswanais d’avoir un accord plus équitable avec De Beers vous paraît-elle légitime ?
David Sebudubudu : Dès le début, l’accord entre le gouvernement du Botswana et De Beers est resté secret. Ce document n’est pas public, les citoyens n’y ont pas accès et n’en connaissent pas les détails. Quand le tout premier accord a été signé, le Botswana était un pays pauvre, sous-développé, et n’avait pas l’expertise pour exploiter ses ressources naturelles. Donc, le gouvernement a signé ce partenariat, qualifié à l’époque d’unique.
On nous a toujours dit, et on le croyait, que c’était le meilleur accord qui puisse être passé entre un pays en voie de développement et une multinationale. C’était un argument qui venait des pays développés. Mais, avec le temps, certains d’entre nous ont commencé à avoir des doutes, se demandant si le Botswana n’avait finalement pas été lésé par cette multinationale.
Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?
Peut-être qu’elle apporte la technologie, mais les ressources naturelles appartiennent au Botswana… Sans les diamants, la technologie ne vaut rien. Et puis le pays aujourd’hui s’est transformé, a évolué et est capable d’apporter un savoir-faire. Et puis soyons honnête : l’extraction de pierre repose sur les machines, elle ne requiert pas une main d’œuvre abondante et donc l’industrie n’a pas créé autant d’emplois qu’on aurait pu l’espérer dans le pays. Enfin, l’opposition politique fait certainement pression sur le gouvernement pour qu’il revoit son accord avec De Beers, estimant que le pays n’en profite pas autant qu’il le pourrait.
Parce que, initialement, le Botswana n’avait aucun contrôle sur les diamants extraits, puis exportés ; aucun contrôle sur leurs prix, puisque leur valeur était évaluée à l’extérieur du pays. Ce n’est que récemment que ce processus a été déplacé de Londres au Botswana. Et même là, je ne suis pas sûr que leurs valeurs soient optimisées.
Mais cette multinationale pourrait argumenter que c’est elle qui a apporté les financements, le matériel, la technologie.
Peut-être qu’elle apporte la technologie, mais les ressources naturelles appartiennent au Botswana… Sans les diamants, la technologie ne vaut rien. Et puis le pays aujourd’hui s’est transformé, a évolué et est capable d’apporter un savoir-faire. Et puis soyons honnête : l’extraction de pierre repose sur les machines, elle ne requiert pas une main d’œuvre abondante et donc l’industrie n’a pas créé autant d’emplois qu’on aurait pu l’espérer dans le pays. Enfin, l’opposition politique fait certainement pression sur le gouvernement pour qu’il revoit son accord avec De Beers, estimant que le pays n’en profite pas autant qu’il le pourrait.
On a toujours dit que le Botswana est un exemple en matière de gestion de ces ressources naturelles.
Si vous regardez les autres pays du continent – le Nigeria, la Sierra leone, la RDC – où des ressources naturelles sont exploitées, il y a beaucoup d’instabilité. Dans certains pays, cela a même provoqué des conflits, des guerres civiles. Mais dans le cas du Botswana, le gouvernement a pris une décision dès le début de l’extraction de diamants et autres minerais : peu importe où ces minéraux ont été trouvés, ils appartiennent à l’État et la population doit en profiter.
Le produit de la vente de ces minerais est utilisé par le gouvernement pour servir la population. L’argent a été investi dans les infrastructures, les écoles, les hôpitaux. Donc oui, en termes de gestion des ressources naturelles, on peut dire que le Botswana est un modèle.
Propos recueillis par Alexandra Brangeon
rfi