Ministre du Budget dans le gouvernement Ndong Sima (2012-2014), puis maire de Libreville, Rose Christiane Ossouka Raponda est revenue au gouvernement en février 2019 pour prendre la tête du ministère de la Défense. Une montée en puissance confirmée, en juillet 2020, par sa nomination au poste de Premier ministre. Cette économiste de 59 ans, formée à l’Institut gabonais de l’Économie et des Finances, est réputée pour sa loyauté à toute épreuve, au point qu’Ali Bongo Ondimba pourrait lui confier la direction de sa campagne s’il se porte candidat à la présidentielle de 2023.
Avez-vous le sentiment que le Gabon est un pays « bloqué » sur le plan politique, ainsi que le décrit l’opposition ?
Rose Christiane Ossouka Raponda : Non. Le seul blocage se trouve au sein d’une opposition sclérosée, qui peine à se renouveler et à incarner une alternative crédible. Au contraire, nous travaillons pour un Gabon qui connaît une phase de transition accélérée. Jamais autant de chantiers n’avaient été mis en œuvre en même temps.
Nous avons révolutionné les programmes scolaires pour donner toute sa place à la formation professionnelle. Pour accélérer sa transformation post-pétrole, le pays diversifie sa structure économique et fait de l’économie verte le moteur du changement. La commercialisation de 187 millions de crédits carbone sur la période 2010-2018 constitue à cet égard un véritable tournant. Notre endettement va diminuer de manière très sensible, ce qui nous donnera des marges de manœuvre pour préparer l’avenir. Sur le plan social, nous engageons des réformes en profondeur, notamment à la Caisse nationale de sécurité sociale. Elles conforteront notre modèle de solidarité.
Sur la plan international, notre adhésion au Commonwealth aura un impact sur les générations futures. Nous sommes un acteur majeur en matière de climat et d’environnement. Nous présidons aujourd’hui le Conseil de sécurité de l’ONU. Sur le plan politique, les institutions fonctionnent de manière fluide… Je pourrais multiplier les exemples pour montrer que nous avançons.
Plusieurs opposants ont rejoint la majorité, certains le gouvernement. Pourquoi les accueillez-vous ?
L’ostracisme ne fait pas partie de notre logiciel. Ce qui compte, c’est le Gabon. Le président Ali Bongo Ondimba insiste là-dessus. Toute personne qui désire nous rejoindre pour construire le pays est la bienvenue. En politique, il ne faut pas être sectaire. Au contraire, il faut rassembler.
Si Ali Bongo Ondimba venait à être candidat en 2023, comment soutiendriez-vous sa campagne ?
Je l’ai déjà dit publiquement : je souhaite qu’il soit candidat. Et s’il l’est, je le soutiendrai comme je l’ai toujours fait. Quelle forme ce soutien prendra-t-il ? Nous verrons le moment venu. Ce qui est sûr, c’est qu’il sera total et sans faille.
Vous avez instauré un conseil de cabinet ministériel. Ce système a-t-il amélioré l’efficacité du travail gouvernemental ?
Ce n’est pas un remède miracle. Ce système a une vertu : le reporting. À partir du moment où vous devez rendre périodiquement des comptes sur les objectifs qui vous ont été fixés, vous êtes incité à faire preuve d’efficacité. Cela permet aussi un meilleur partage de l’information entre les différents ministères, qui ont parfois tendance à fonctionner en solitaire. La cohésion de l’équipe s’en trouve renforcée.
En 2020, le Gabon est entré en récession, avec une croissance de –1,9 %, redevenue positive en 2021. Comment se porte son économie, en 2022 ?
Après une année 2020 difficile pour l’ensemble des économies mondiales, dont le PIB a chuté de 3,1 %, nous avons amorcé la reprise en 2021. Cette tendance s’est consolidée en 2022, puisque nous prévoyons une croissance de 2,9 %, portée pour l’essentiel par les mines (notamment la filière manganèse), l’agriculture, le BTP ou encore les industries du bois.
Ce rebond s’explique aussi par la relance de la demande intérieure, avec une consolidation de l’investissement tiré par le privé, en particulier dans les secteurs pétrolier, minier, énergétique et industriel (malgré la conjoncture de hausse généralisée des prix à la consommation). La fermeté de la demande extérieure et la vigueur de nos exportations contribuent également à cet élan.
La remontée des cours des matières premières depuis le premier trimestre de 2022 devrait permettre une amélioration des finances publiques, avec, entre autres, une hausse de l’excédent public de 3,8 points du PIB et une baisse du taux d’endettement. Comme vous le voyez, l’économie gabonaise est sur de bons rails. Ce réalignement sur une trajectoire vertueuse résulte en bonne partie de la mise en œuvre du Plan d’accélération de la transformation .
EN 2023, LA DYNAMIQUE DEVRAIT SE POURSUIVRE ET LE PIB PROGRESSER DE PLUS DE 3 %
Cela aura-t-il un effet sur le pouvoir d’achat ?
L’envolée des prix du pétrole et d’autres produits de base comme le blé s’est traduite par des tensions inflationnistes sur les produits importés. Au niveau national, nous anticipons donc un taux d’inflation de 3,5 % en moyenne pour 2022, malgré les mesures prises, telles que les subventions sur les prix des carburants à la pompe et de la farine, qui nous coûtent très cher. C’est pourquoi le ministre de l’Économie a échangé avec les opérateurs économiques afin de mettre en place une nouvelle mercuriale , en vigueur depuis quelques semaines.
Quelles sont les perspectives pour 2023 ?
La dynamique de 2022 devrait se poursuivre, et le PIB progresser de plus de 3 %. Par ailleurs, malgré les fortes contraintes budgétaires auxquelles il s’attend, le gouvernement veut maintenir sa politique sociale en faveur des ménages. Grâce à la nouvelle mercuriale et au maintien de mesures sociales telles que la gratuité des transports publics et du transport scolaire ou la subvention des prix à la pompe, nous espérons maîtriser l’inflation aux alentours de 2,8 % en 2023.
Nous comptons enfin poursuivre les projets structurants engagés dans le cadre du PAT, qu’ils soient financés sur fonds propres, sur ressources extérieures ou par le biais de partenariats public-privé. C’est le cas de la Transgabonaise, des voiries urbaines et du projet d’adduction d’eau.
La pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine ont entraîné une forte hausse des cours des matières premières et, donc, des recettes pétrolières. Qu’en ferez-vous ?
Le conflit russo-ukrainien a en effet généré des recettes supplémentaires liées à la hausse des cours du baril, soit une augmentation de 33,3 % dans le cas de notre pays. Ces recettes exceptionnelles nous ont permis de relever les dépenses d’investissement, d’amortir la dette extérieure et la dette moratoire. Mais la guerre a aussi entraîné une augmentation des prix du carburant à la pompe et une hausse vertigineuse des cours de blé dans le monde. D’où les efforts consentis par le gouvernement pour stabiliser les prix du carburant et de la farine.
LE PAYS IMPORTE POUR 450 MILLIARDS DE F CFA PAR AN DE PRODUITS ALIMENTAIRES. CETTE SITUATION N’EST PAS SOUTENABLE
Ce conflit rappelle aussi que le Gabon reste fortement dépendant des importations en matière alimentaire…
Il importe pour près de 450 milliards de F CFA par an de produits alimentaires, ce qui traduit déjà le faible niveau de la production agricole de notre pays. Cette situation n’est pas soutenable sur le plan économique.
La guerre en Ukraine et, avant elle, la pandémie de Covid-19 ont contribué à déstabiliser les circuits d’approvisionnement internationaux et entraîné une inflation généralisée. Pour y faire face à court terme, le gouvernement vient de s’assurer de la disponibilité des produits alimentaires en quantité, en qualité et à un prix accessible à toute la population. Nous avons ainsi décidé de subventionner et de réguler les prix des produits de première nécessité.
Sur un tout autre plan, le ministère chargé de l’Agriculture a décidé de créer cinq Zones agricoles à forte productivité (ZAP), à Kango, Andem, Bifoun-Abanga, Idemba et Mboukou. L’objectif est d’apporter des solutions adaptées aux principaux problèmes que rencontrent les agriculteurs afin de garantir la sécurité alimentaire, de renforcer les exportations des produits agropastoraux et de lutter contre la pauvreté par la création d’emplois.
Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), la situation de l’emploi s’est dégradée, en particulier chez les jeunes. Comment comptez-vous y remédier ?
L’une des causes du chômage, en particulier celui des 15-25 ans, est l’inadéquation entre la formation et l’emploi. Pour y remédier, le président Ali Bongo Ondimba a engagé toute une série de réformes visant à rendre le marché de l’emploi plus attrayant : valorisation de la certification des formations de courte durée en apprentissage ou en alternance ; réforme du code du travail qui accorde une place de choix aux contrats de professionnalisation, d’apprentissage, à l’insertion professionnelle ou à l’alternance, etc., ce qui favorise l’emploi des jeunes.
Quelles réformes ont été engagées dans le cadre de la politique d’égalité des chances promue par le chef de l’État ?
Tout commence par l’égalité d’accès à l’éducation. Malgré les effets négatifs de la pandémie de Covid-19, nous avons engagé un vaste programme de construction et de réhabilitation d’établissements scolaires et d’internats.
LE GABON EST L’UN DES TROIS PAYS D’AFRIQUE SUBSAHARIENNE LES PLUS ENTREPRENANTS EN MATIÈRE D’ÉGALITÉ DES SEXES
Pour favoriser l’emploi des jeunes et mieux assurer l’adéquation formation-emploi, nous avons créé trois centres de formation multisectoriels entièrement équipés, à Libreville, Franceville et Port-Gentil. Et, pour dynamiser notre politique d’emploi, l’Office national de l’emploi (ONE), devenu Pôle national de promotion de l’emploi (PNPE), a vu ses compétences élargies.
Dans le domaine de la santé, nous avons renforcé le plateau technique de nos structures de soins et lancé un programme national de réhabilitation dans les différents départements sanitaires. Pour améliorer l’accès des populations au médicament, l’Office national pharmaceutique a également été réformé – notamment la gestion des pharmacies hospitalières afin d’assurer la disponibilité permanente des médicaments au sein des hôpitaux publics.
L’égalité des chances, c’est aussi l’égalité des genres. Avec le concours de la Fondation Sylvia Bongo Ondimba pour la famille, nous avons déployé le programme Gabon Égalité, pour promouvoir la protection et les droits des femmes et des jeunes filles.
Pourquoi la promotion des femmes occupe-t-elle une place aussi importante dans l’agenda politique gabonais ?
Le Gabon est en effet souvent cité parmi les trois pays d’Afrique subsaharienne les plus entreprenants en matière d’égalité des genres. Dès 2015, le président a décrété que cette décennie serait celle de la femme. Depuis, l’évolution de notre pays a été spectaculaire.
Tout cela est aussi advenu grâce à l’engagement et à la détermination de la première dame, Sylvia Bongo Ondimba, et à l’action de sa fondation. C’est à ses travaux que nous devons la révision, en 2021, du code pénal, du code civil et du code travail, dans lesquels l’égalité des genres a été inscrite. C’est à sa fondation que nous devons la création de l’Observatoire du droit des femmes au Gabon, ainsi que l’ouverture prochaine d’un centre d’hébergement d’urgence pour les femmes victimes de violences.
Pouvez-vous nous donner quelques chiffres susceptibles d’illustrer le développement social inclusif ?
En 2021, la Caisse nationale d’assurance maladie et de garantie sociale (CNAMGS) a enregistré 64 635 nouvelles immatriculations. Ce qui porte à près de 1,58 million le nombre de personnes qui bénéficient de la couverture maladie, soit un taux de couverture de 70 %. Et pour la même période, plus de 61 milliards de F CFA ont été dépensés au titre de la prise en charge sanitaire des Gabonais par le biais de la CNAMGS. Ces efforts se poursuivent à travers la mise en œuvre de projets à fort potentiel social dans le cadre du PAT 2021-2023.
En 2021, Transparency International a classé le Gabon parmi les pays où le niveau de corruption est considéré comme élevé. Que fait le gouvernement pour faire reculer ce fléau ?
Vous omettez de dire que, dans le dernier classement de Transparency , le Gabon fait un bond de cinq places. Il remonte du 129e au 124e rang , et figure au 19e rang sur les 49 pays d’Afrique subsaharienne évalués. Ce qui signifie que notre politique hyper-volontariste de lutte contre la corruption porte également ses fruits. Elle prend différentes formes : opération Scorpion, task-forces (comme celle sur la dette intérieure), procédures devant la Cour arbitrale de justice, adoption d’un code pénal qui réprime avec la plus grande fermeté les infractions financières…
BEAUCOUP DE POSTES PARMI LES PLUS PRESTIGIEUX SONT OCCUPÉS PAR DES FEMMES
Avez-vous le sentiment que la société gabonaise a accepté qu’une femme soit « un Premier ministre comme un autre » ?
Oui, je le crois. La politique d’égalité des chances a porté ses fruits. Aujourd’hui, beaucoup de postes parmi les plus prestigieux sont occupés par des femmes : la primature, la présidence du Sénat, du Conseil constitutionnel, du gouvernorat de l’Estuaire, etc. Sans oublier le ministère de l’Économie ou la mairie Libreville.
Une femme Premier ministre, est-ce un pas de plus vers l’égalité des genres ?
Sans l’ombre d’un doute. Le principal impact est celui provoqué dans l’esprit des jeunes filles. Ce qui les entrave le plus, au-delà des grossesses précoces, qui sont un autre fléau, c’est l’autocensure. Elles ont besoin de modèles.
Source: JeuneAfrique.com