L’intelligence artificielle générative déclenche désormais des restructurations massives dans les entreprises, marquant une accélération historique dans la transformation du marché du travail. L’annonce par Amazon de 14 000 suppressions de postes dans ses fonctions administratives, explicitement justifiée par les gains de productivité permis par l’IA, représente un tournant symbolique fort. Cette première vague concrétise les prédictions des experts sur l’automatisation des métiers intellectuels.
Les secteurs des fonctions supports, des ressources humaines, de la logistique et du marketing sont en première ligne. Au-delà d’Amazon, des entreprises comme IBM, Accenture et Salesforce ont déjà procédé à des milliers de licenciements liés à l’adoption de ces technologies. La transformation opère également de manière plus diffuse par le non-remplacement des départs et le ralentissement des embauches. Selon une étude du groupe LHH, 46% des dirigeants déclarent avoir déjà réduit leurs effectifs à cause de l’IA, tandis que 54% prévoient d’employer moins de personnes dans les cinq prochaines années.
Cette mutation s’inscrit dans une automatisation progressive des tâches cognitives, initiée bien avant l’émergence de ChatGPT. Le secteur de la traduction a servi de laboratoire, avec des plateformes comme Duolingo réduisant massivement leurs équipes de traducteurs humains. Le Forum économique mondial identifie dans son rapport 2025 les métiers de la banque, de l’assurance et de l’analyse de données comme particulièrement exposés. Les tâches répétitives et prévisibles, autrefois réservées aux juniors, constituent la cible privilégiée de cette automatisation accélérée.
Les experts anticipent une polarisation croissante du marché du travail. D’un côté, les salariés “augmentés” par l’IA verront leur productivité et leur valeur renforcées. De l’autre, ceux dont les compétences se limitent à des tâches automatisables risquent l’obsolescence professionnelle. Cette fracture pourrait particulièrement affecter les jeunes diplômés, privés des postes juniors traditionnels qui constituaient leur porte d’entrée sur le marché du travail. L’Organisation internationale du travail estime qu’un emploi sur quatre présente un risque d’exposition significative à l’IA générative.
En France, l’impact reste difficile à mesurer, aucun plan social d’envergure n’ayant encore été explicitement attribué à l’IA. Le phénomène se manifeste principalement par un gel des recrutements dans les métiers exposés. “Le marché américain a toujours été plus réactif que le marché français, mais il faut s’attendre aux mêmes conséquences”, analyse Antonin Bergeaud, professeur associé à HEC. Cette transformation silencieuse crée une dissonance notable entre la perception des dirigeants et celle des salariés, ces derniers identifiant rarement l’IA comme cause directe des mutations qu’ils subissent.
Le secteur des centres d’appel, déjà fragilisé par les délocalisations, connaît une automatisation accélérée. Les canaux digitaux progressent rapidement au détriment des interfaces humaines traditionnelles. Selon l’étude SP2C 2025, le chiffre d’affaires lié aux tchats a reculé de 21%, cette partie étant la plus facilement automatisable. L’arrivée de copilotes IA chargés de résumer les échanges et d’outils d’écoute automatisée annonce une réorganisation profonde des tâches, qui pourrait à terme concerner certains postes d’encadrement.
Face à cette transformation inéluctable, la question de la formation et de la reconversion devient cruciale. Les entreprises devront résoudre un dilemme stratégique : comment constituer un vivier de talents expérimentés si l’on réduit les recrutements de juniors ? Pour Michaël Chambon de LHH France, “il y a des métiers qui pourraient disparaître, mais la plupart, c’est plutôt des métiers en évolution”. Cette transition exige une anticipation active des compétences futures, dans un contexte où le rythme du changement technologique dépasse souvent celui de l’adaptation des travailleurs.



