Au Kenya, 75 jeunes arrêtés lors des manifestations anti-gouvernementales de juin et juillet ont été inculpés pour terrorisme. Selon un collectif regroupant des avocats, des ONG et des chercheurs, près de 450 autres personnes font face à des accusations de crimes graves. Ces inculpations exposent les prévenus à des peines allant jusqu’à la perpétuité, ce qui marque un tournant inquiétant dans la répression des contestations.
Parmi les inculpés, certains témoignent des mauvais traitements subis en détention. Francklin Wambua, libéré sous caution après deux mois en prison, raconte avoir été battu et privé de soins. Pour les défenseurs des droits, ces procédures s’apparentent à un détournement du droit pénal afin de décourager toute contestation. L’avocate Jane Njeri Maina dénonce un usage abusif de la loi, rappelant que depuis 2010 seules quinze personnes avaient été poursuivies pour terrorisme avant cette vague de répression.
Adoptée en 2012, la loi antiterroriste kényane avait été conçue pour répondre à la menace des groupes jihadistes actifs dans la région, notamment Al-Shabaab. Mais depuis plusieurs années, des organisations de la société civile dénoncent son usage à des fins politiques. En assimilant des gestes de protestation, comme un jet de pierre, à des actes terroristes, le parquet élargit le champ d’application de la loi au-delà de son objectif initial. Pour de nombreux observateurs, l’argument sécuritaire est devenu un outil de contrôle social.
Cette stratégie judiciaire pourrait avoir un effet durable sur la mobilisation des jeunes, principaux acteurs des manifestations. Inculper des mineurs ou de jeunes adultes pour terrorisme risque d’hypothéquer leur avenir et de radicaliser une partie de la société. Pour Fredrick Omondi Okello, chercheur en sécurité, « l’État ruine la vie de toute une génération » en assimilant l’expression politique à une menace sécuritaire. À terme, cela pourrait alimenter davantage la défiance envers les institutions.
Face à cette dérive, le collectif citoyen « 50 millions et plus de Kényans » s’organise. Il a déjà permis, grâce à une campagne de dons, de payer la caution de plus d’une centaine de détenus. Pour les avocats et militants engagés, l’enjeu dépasse la défense des inculpés : il s’agit de préserver le droit de manifester et de contester sans risquer d’être assimilé à un terroriste. Une bataille juridique s’annonce, avec un recours déposé devant la Haute Cour pour tenter de faire annuler ces inculpations.