À l’approche de la Tabaski, célébrée les 6 et 7 juin, de nombreux pays africains peinent à assurer l’approvisionnement en moutons nécessaires au rituel du sacrifice. Entre insécurité dans le Sahel, inflation, dépendance aux importations et sécheresse persistante, les tensions s’accumulent sur les marchés locaux. Le Sénégal, par exemple, aura besoin de plus de 800 000 têtes pour répondre à la demande nationale.
Longtemps dépendant des importations du Mali, le Sénégal a dû diversifier ses sources d’approvisionnement, en se tournant notamment vers la Mauritanie. Dans le même temps, le pays accélère ses efforts pour atteindre l’autosuffisance. Près de 70 % des moutons sacrifiés seraient aujourd’hui issus de l’élevage local, selon l’économiste Alassane Seck. Un programme étatique appuie les éleveurs à travers subventions, crédits, et soutien à l’élevage de races locales comme le ladoum, dans l’optique de couvrir l’ensemble de la demande nationale à moyen terme.
La Côte d’Ivoire, elle, continue d’importer une grande partie de ses moutons, malgré des besoins estimés à 160 000 têtes. L’interdiction d’exportation de bétail annoncée par le Niger a fragilisé davantage la chaîne d’approvisionnement. Pour anticiper, Abidjan a signé un accord transfrontalier avec le Ghana et reçu 20 000 moutons du Tchad début juin. Dans ce pays sahélien, comme ailleurs, l’enjeu est moins la disponibilité que le prix : l’inflation limite l’accès au mouton à une partie croissante de la population.
Dans plusieurs capitales d’Afrique de l’Ouest, les prix atteignent des sommets. À Lomé, il est devenu difficile de trouver un mouton en dessous de 100 000 francs CFA (environ 152 euros). En Guinée, les prix varient entre 2 et 3 millions de francs guinéens, soit jusqu’à 250 euros. Même lorsque les moutons sont disponibles, leur coût devient un facteur d’exclusion. Pour de nombreuses familles, célébrer la Tabaski devient un luxe.
Les pays du Maghreb, eux, dépendent massivement des marchés extérieurs. Le Maroc, confronté à une sécheresse durable, a appelé ses citoyens à renoncer exceptionnellement au sacrifice cette année. Le royaume cherche à reconstituer son cheptel en diversifiant ses importations vers des pays lointains comme l’Australie, le Brésil ou la Roumanie. L’Algérie a quant à elle importé un million de moutons, notamment de Roumanie et d’Espagne, avec des prix allant jusqu’à 225 euros par tête.
Cette crise d’approvisionnement met en lumière la vulnérabilité des circuits traditionnels d’échange en Afrique. Sécheresse, insécurité, inflation et restrictions commerciales fragilisent une pratique religieuse centrale. L’avenir repose sur un équilibre délicat : renforcer les filières locales tout en garantissant des partenariats régionaux et internationaux plus stables. Pour nombre de gouvernements africains, la Tabaski devient chaque année un test de résilience économique autant que sociale.