L’Afrique perd chaque année plus de 587 milliards de dollars au profit du reste du monde, un paradoxe pour un continent qui a pourtant un besoin urgent de capitaux pour financer son développement. Selon le professeur Kevin Chika Urama, économiste en chef et vice-président de la Banque africaine de développement (BAD), cette perte est principalement due à une perception erronée du risque et à des pratiques financières illicites. Pendant ce temps, l’Afrique ne reçoit que 190,7 milliards de dollars sous forme d’investissements directs étrangers, de dettes, de transferts de la diaspora et d’aides publiques.
Le rapport de la BAD, basé sur des données de 2022, détaille que 79 milliards de dollars partent en primes de risque injustifiées, alors que 90 milliards s’évanouissent à travers des flux financiers illicites, y compris la manipulation des prix et autres pratiques frauduleuses. Mais le plus grave reste les 148 milliards perdus chaque année à cause de la corruption, et les 275 milliards transférés illégalement par des multinationales sous forme de bénéfices détournés. Ces montants traduisent un pillage systématique qui prive l’Afrique de ressources cruciales.
Historiquement, l’Afrique subit une double peine : d’un côté, elle supporte une influence extérieure qui dicte les prix et les valeurs monétaires ; de l’autre, elle est enfermée dans une image de continent surendetté, alors qu’elle est, en réalité, un créancier net vis-à-vis du reste du monde. Cette situation reflète non seulement un déséquilibre dans les flux financiers, mais aussi l’incapacité des systèmes fiscaux locaux à contrer les stratégies d’évasion pratiquées par des multinationales, malgré les alertes lancées depuis des décennies par des organisations comme Tax Justice Network.
Les initiatives internationales pour contrer cette hémorragie, notamment celles de l’OCDE visant à imposer plus de transparence et à instaurer un impôt minimum, peinent à porter leurs fruits, même dans les pays du G20. Le professeur Urama souligne que ces mesures restent largement inopérantes et appelle à repenser la perception du risque en Afrique, qui enregistre le plus faible taux de défaut (1,9 %) sur ses projets d’infrastructure, contre 12,4 % en Europe de l’Est. Il insiste sur l’urgence de réformer les règles de transparence financière à tous les niveaux.
L’incapacité à stopper ces fuites prive l’Afrique des ressources nécessaires pour financer ses infrastructures, réduire sa dépendance aux importations et renforcer sa résilience face aux chocs externes, y compris les effets du changement climatique. En 2023, les investissements directs étrangers, les aides publiques et les transferts de la diaspora ont reculé, à l’exception des investissements en portefeuille, signe d’une vulnérabilité accrue.
La faiblesse des administrations fiscales africaines est souvent pointée du doigt, mais c’est oublier le rôle central des multinationales et du système financier international opaque qui permet l’érosion des bases fiscales du continent. Des réformes profondes sont nécessaires pour restaurer la souveraineté économique de l’Afrique, mais elles exigent une volonté politique forte et une mobilisation coordonnée entre pays africains.