Dans une démonstration de pragmatisme géopolitique, le Togo mène de front deux rapprochements apparemment contradictoires avec Moscou et Washington. Les 21 et 22 juillet 2025, deux événements distincts ont illustré cette stratégie de diversification : la commission législative russe a approuvé un accord-cadre de coopération militaire avec Lomé, tandis que le chargé d’affaires américain évaluait les opportunités commerciales offertes par le port autonome de Lomé. Cette double démarche révèle une diplomatie calculée qui refuse les alignements exclusifs.
L’accord russo-togolais, signé quelques mois plus tôt et désormais en voie de ratification, prévoit des exercices militaires conjoints, la formation de soldats togolais, des échanges de renseignements sécuritaires et une assistance médicale d’urgence gratuite. Selon Vladimir Grouzdev, président de l’association des juristes de Russie, ce partenariat vise à établir une base juridique solide pour un soutien bilatéral renforcé dans le domaine sécuritaire. Cette coopération répond à des besoins urgents : la région des Savanes, au nord du pays, subit une recrudescence d’attaques jihadistes qui menacent la stabilité nationale.
Cette initiative s’inscrit dans la stratégie plus large de Moscou pour étendre son influence en Afrique subsaharienne. La Russie a déjà conclu des accords similaires avec le Cameroun, la République centrafricaine et São Tomé-et-Príncipe, profitant du reflux de l’influence occidentale sur le continent. Cette montée en puissance russe intervient alors que la France voit son pré carré africain se rétrécir et que les États-Unis peinent à maintenir leur présence face à la concurrence chinoise et désormais russe.
Parallèlement, Washington ne renonce pas à ses ambitions togolaises, privilégiant le levier économique. La visite de Richard Michaels au port de Lomé témoigne de l’intérêt américain pour cette infrastructure stratégique, quatrième port à conteneurs le plus actif d’Afrique. Les chiffres parlent : les exportations togolaises vers les États-Unis ont bondi de 20 millions de dollars en 2021 à 97 millions en 2024, tandis que les exportations américaines vers le Togo atteignent 284 millions de dollars. Cette dynamique commerciale fait du port de Lomé une porte d’entrée privilégiée vers les marchés africains pour les entreprises américaines.
Toutefois, cette croissance prometteuse se heurte aux nouvelles orientations protectionnistes de l’administration Trump. En avril 2025, Washington a imposé un droit de douane de 10 % sur toutes les exportations africaines, mesure qui inquiète les opérateurs économiques togolais. Bien que le Togo bénéficie encore de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), les exportateurs de café, cacao, karité et fèves de soja redoutent un impact négatif. L’industrie textile naissante, portée par la Plateforme industrielle d’Adétikopé, pourrait également pâtir de cette nouvelle donne tarifaire.
Le Togo démontre ainsi sa capacité à naviguer dans les eaux troubles de la géopolitique contemporaine en refusant les exclusivités. Cette stratégie de diversification, qui consiste à chercher la sécurité auprès de Moscou tout en préservant les intérêts économiques avec Washington, traduit une maturité diplomatique certaine. Néanmoins, ce jeu d’équilibriste comporte des risques : Lomé devra éviter de décevoir l’un ou l’autre de ses partenaires, sous peine de perdre les bénéfices de cette diplomatie multipolaire. La réussite de cette approche dépendra de la capacité du gouvernement togolais à compartimenter ses relations et à justifier auprès de chaque partenaire la pertinence de ses choix.