(Agence Ecofin) – Alors que la guerre en Ukraine assombrit les perspectives de croissance de l’économie mondiale, le débat sur les pratiques de prêt de la Chine en Afrique revient sur le devant de la scène. Le chancelier allemand estime que la générosité de Pékin envers ses partenaires du Sud risque de plonger le monde dans une nouvelle crise financière.
Interpellé sur l’attitude timorée de l’Union européenne en Afrique alors que les fonds chinois irriguaient le continent pour financer des projets de développement, le chancelier allemand Olaf Scholz a remis sur la table l’impact négatif que pourrait avoir l’appétit gargantuesque des prêteurs chinois sur la stabilité financière mondiale.
« Il existe un danger vraiment sérieux de voir (se déclencher) une prochaine grande crise de la dette dans les pays du Sud liée aux prêts accordés par la Chine, qui n’a elle-même pas une vue d’ensemble en raison des nombreux acteurs impliqués », a lancé le chancelier social-démocrate lors d’un débat au Congrès des catholiques, tenu le 27 mai à Stuttgart.
« Cela plongerait la Chine et les pays du Sud dans une grande crise économique et financière et, en outre, n’épargnerait pas le reste du monde. Il s’agit donc d’une inquiétude sérieuse », a-t-il ajouté.
Olaf Scholz a également formé le vœu de voir la Chine rejoindre au Club de Paris, un groupe informel de créanciers publics dont le rôle est de trouver des solutions coordonnées aux difficultés de paiement de pays endettés en négociant des allègements ou des rééchelonnements de leur dette. « L’une des grandes ambitions que nous avons est d’intégrer la Chine » dans ce club, a-t-il souligné.
La Chine, premier créancier du continent africain
La Chine s’est hissée au cours des dernières années au rang de premier créancier de l’Afrique, en s’appuyant notamment sur ses deux principaux bras financiers (policy banks), en l’occurrence la Banque chinoise d’import-export (China EximBank) et la China Development Bank (CDB), ainsi que sur des fonds bilatéraux spécifiques comme le Fonds de développement Chine-Afrique (CAD Fund).
Entre 2000 et 2021, l’empire du Milieu a déversé 161,9 milliards de dollars sur le continent, selon des données récoltées par l’université de Boston.
Mais certaines ONG pensent que les engagements globaux de la Chine en matière de prêts sont probablement beaucoup plus importants. AidData, un organisme spécialisé dans la recherche sur le développement international rattaché à l’Université William & Mary aux Etats-Unis, relève que près de 50% des prêts accordés par la Chine aux pays en développement ne figurent pas dans les statistiques officielles de la dette.
Le think tank américain Brookings Institution a, quant à lui, souligné que les prêts accordés par la Chine aux pays africains depuis le début du nouveau millénaire ont essentiellement servi à financer plus de 3000 projets d’infrastructures.
Global Gateway, une contre-offensive européenne
Les prêts chinois ne sont pas assortis de conditions en termes de gouvernance et de respect des droits de l’Homme. Ils sont cependant souvent assujettis à l’attribution de marchés aux entreprises chinoises et à l’exploitation de ressources naturelles locales. Et c’est là que le bât blesse. Des ONG et des responsables occidentaux accusent régulièrement Pékin d’utiliser le « piège de la dette » pour exercer sur ses partenaires africains, voire pour les obliger à céder le contrôle de certains actifs précieux lorsqu’ils ne peuvent plus rembourser.
La Zambie, où la Chine a remporté la aussi-totalité des appels d’offres internationaux des dernières années, ou encore Djibouti, où Pékin a installé une base militaire, ont par exemple des dettes envers la Chine équivalant à au moins 20 % de leur PIB annuel, d’après AidData,
Mais la Chine rejette cette thèse et accuse les Occidentaux de promouvoir ce discours pour ternir son image contenir son influence montante.
Quoi qu’il en soit, les déclarations du chancelier allemand sur les pratiques de prêt de la Chine en Afrique sonnent comme un nouvel épisode de la sourde lutte d’influence engagée entre l’ogre asiatique et l’Occident sur le continent.
Pour tenter de contrer l’influence chinoise en Afrique, l’Union européenne a d’ailleurs dévoilé en décembre 2021 un plan d’aide au développement baptisé « Global Gateway ». Ce plan prévoit notamment des investissements de 150 milliards d’euros en Afrique sur six ans pour contribuer notamment au développement des infrastructures du numérique, de l’énergie, mais aussi de la santé et l’éducation. La nouvelle offensive « made in Bruxelles » prend les allures d’une réponse européenne aux « nouvelles routes de la soie », un projet titanesque porté par Pékin qui prévoit la construction de chemins de fer, de routes et de ports dans divers endroits du monde, et plus particulièrement en Afrique.