L’Office chérifien des phosphates (OCP) a inauguré, le 14 juillet, un pipeline de 200 kilomètres destiné à transporter de l’eau de mer dessalée vers le site minier de Khouribga, le plus grand gisement de phosphate au monde. Cette infrastructure, inédite dans le royaume, vise à assurer l’autonomie en eau de l’OCP, principal consommateur industriel du pays, tout en répondant à une crise hydrique qui s’aggrave depuis plusieurs années.
L’eau provient de la station de dessalement de Jorf Lasfar, sur la côte Atlantique, et est acheminée jusqu’à l’intérieur des terres grâce à ce pipeline. Gérée par la filiale OCP Green Water, cette opération a pour but de couvrir l’ensemble des besoins en eau industrielle du groupe, en s’appuyant uniquement sur des ressources dites « non conventionnelles ». « L’objectif est de rendre nos opérations totalement autonomes en matière d’eau, en excluant les sources classiques », affirme Ahmed Znibar, directeur général de la filiale.
Depuis 2018, le Maroc subit une sécheresse prolongée qui a gravement affecté les ressources hydriques du pays. En 2024, la Direction générale de la météorologie a enregistré un déficit pluviométrique de près de 25 %, avec des températures records. Cette situation pousse les autorités et les industriels à repenser en urgence leur modèle de gestion de l’eau. Déjà autonome, l’OCP a également été sollicité par l’État pour répondre aux besoins en eau potable de certaines communes proches de ses sites.
Le pipeline s’inscrit dans un plan plus large. En avril, OCP Green Water a levé 600 millions d’euros pour développer le dessalement d’eau de mer. Le Maroc compte actuellement 16 stations de dessalement, avec une capacité totale de 270 millions de m³ par an. D’ici 2030, Rabat vise 1,7 milliard de m³. L’enjeu est double : sécuriser l’approvisionnement en eau pour l’industrie et soutenir un secteur agricole mis à mal par la sécheresse. L’agriculture représente encore 12 % du PIB marocain.
Mais cette solution technologique a un coût. Selon l’AFP, le mètre cube d’eau dessalée est facturé cinq fois plus cher que l’eau conventionnelle. « Ce prix limite son usage à des cultures à très forte valeur ajoutée », explique l’agronome Ali Hatimy. Il souligne aussi les impacts environnementaux du dessalement, notamment la forte consommation énergétique et les rejets de saumure qui perturbent les écosystèmes marins. Malgré ces limites, le Maroc semble déterminé à poursuivre cette voie pour répondre à l’urgence climatique.
Le recours à l’eau non conventionnelle apparaît donc comme un choix stratégique mais contraint. Pour l’OCP, il s’agit de préserver sa position dominante sur le marché mondial du phosphate, tout en s’alignant sur les exigences environnementales croissantes. À moyen terme, ce modèle pourrait devenir une référence régionale, mais il dépendra de la capacité du royaume à maîtriser les coûts et limiter les dégâts écologiques.