L’écrivain kényan Ngugi wa Thiong’o est décédé mercredi 28 mai à l’âge de 87 ans, a annoncé sa fille Wanjiku Wa Ngugi sur les réseaux sociaux. Auteur d’une œuvre riche et engagée mêlant romans, essais, pièces de théâtre et mémoires, il est considéré comme l’un des géants de la littérature africaine moderne. « Il a vécu une vie bien remplie et a mené un combat acharné », a confié sa fille dans un message sobre.
Né en 1938 à Kamiriithu, Ngugi wa Thiong’o a grandi dans un contexte de colonisation britannique marqué par la violence et l’injustice. Son œuvre s’en est nourrie : des premiers romans comme Enfant, ne pleure pas à Pétales de sang, en passant par ses pièces de théâtre contestataires. En 1977, sa pièce Je me marierai quand je le voudrai lui valut l’emprisonnement sans procès. Sa libération en 1978, obtenue grâce à une campagne internationale, ne mit pas fin à son exil : il s’installa au Royaume-Uni puis aux États-Unis, continuant d’écrire en faveur de la décolonisation et des langues africaines.
Ngugi wa Thiong’o s’est imposé comme une figure de la pensée panafricaine et post-coloniale. Influencé par Marx et Frantz Fanon, il a dénoncé la domination mentale héritée de la colonisation, notamment dans Décoloniser l’esprit (1986), plaidoyer pour la réhabilitation des langues africaines face à l’hégémonie des langues européennes. Ce choix radical l’a conduit à écrire exclusivement en kikuyu à partir des années 1980, illustrant son engagement profond pour la dignité et l’émancipation du continent.
La trajectoire de Ngugi wa Thiong’o ne s’est pas arrêtée à l’exil. En 2004, après plus de 20 ans loin du Kenya, il rentra au pays, mais son séjour fut marqué par une agression violente et mystérieuse. Cette épreuve ne l’a pas fait taire : ses écrits et ses prises de position ont continué d’inspirer les nouvelles générations. Son œuvre théâtrale censurée, Ngaahika Ndeenda, a d’ailleurs été rejouée à Nairobi en 2022, symbole d’une reconnaissance tardive.
Nombreux sont ceux qui saluent aujourd’hui la mémoire d’un écrivain visionnaire et courageux. Titulaire de nombreuses distinctions internationales, longtemps pressenti pour le Nobel de littérature, Ngugi wa Thiong’o a laissé une trace indélébile dans les lettres africaines. Son dernier essai, Pour une Afrique libre, publié en 2017, prolongeait son combat pour l’estime de soi des Africains et le rôle de l’écrivain dans la construction d’une société plus juste. Sa disparition ouvre un vide mais laisse derrière elle une œuvre puissante, traduite dans le monde entier, qui continuera de nourrir le débat sur l’identité, la culture et la liberté en Afrique.