Le projet de loi sur l’immigration est présenté ce mercredi 1er février en conseil des ministres. En plein débat sur la réforme des retraites, l’exécutif fait entrer dans l’atmosphère un texte susceptible de cristalliser les critiques et dont l’adoption n’est pas gagnée d’avance…
« C’est bien de montrer qu’il n’y a pas que les retraites. L’immigration, c’est l’un des principaux sujets de préoccupation des Français », c’est ce qu’explique une députée Renaissance pour laquelle il ne s’agit pas que de faire diversion, mais aussi de se donner le temps de préparer le terrain pour ce texte à haut risque, car ajoute-t-elle, au micro de Valérie Gas, du service politique, « On n’a pas de majorité pour le moment ».
C’est le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin qui est à la manoeuvre, et à entendre un cadre du parti du président de la République : il « essaie d’angler le texte à droite » et pour cause, c’est la seule voie de passage. Comme pour les retraites, c’est du côté des Républicains que pourrait venir un éventuel soutien, même si l’objectif affiché par l’exécutif est de présenter un texte équilibré entre « fermeté », avec des mesures pour augmenter les expulsions et « humanité », avec un titre de séjour pour régulariser les sans-papiers employés dans les secteurs économiques sous tension.
« On aura le débat parlementaire, mais on est certain qu’Olivier (Dussopt, ministre du Travail) et moi, nous arriverons à un compromis sans dénaturer le texte, en écoutant évidemment les oppositions, et singulièrement les oppositions de droite », a déclaré M. Darmanin à l’issue du conseil des ministres, rapporte l’Agence France presse.
Un texte « macronien » par excellence, mais qui n’a pas atteint son objectif de ratisser large puisqu’à ce stade, ni la gauche, ni la droite n’en veulent. Le nouveau président des Républicains (LR) Éric Ciotti a d’ores et déjà prévenu qu’il voterait contre ce texte à l’Assemblée.
Les différentes lois sur l’immigration en France ces trente dernières années
En France, il y a eu vingt et une lois portant sur l’immigration sur les trente dernières années, de la « loi Pasqua » de 1986 à la « loi Collomb » de 2018. Avec ces lois, le pays connaît un durcissement progressif du droit des étrangers avec, en arrière-plan, la montée de l’extrême droite dans le paysage politique.
Vingt et une lois depuis 1986, cela fait en moyenne une loi tous les ans et demi. Tous les gouvernements depuis 1986, sans exception, ont promulgué des textes touchant à l’immigration, à l’asile ou à la nationalité, voire à plusieurs de ces sujets en même temps. Le sujet devient un enjeu de débat politique quasiment permanent en France, qui est également soumise à l’influence du droit de l’Union européenne. C’est le cas de la « loi Marchand », promulguée le 26 février 1992, qui reprend une partie des règles de la convention de Schengen sur la libre circulation en Europe.
Ces lois sur l’immigration portent sur le droit au séjour où l’on constate un durcissement des conditions à l’obtention d’un titre de longue durée, permettant de vivre de manière stable en France. Les procédures d’éloignement se développent aussi ainsi que les mesures qui les accompagnent comme la rétention administrative ou encore l’assignation à résidence. Des mesures de plus en rigides qui interdisent le retour sur le territoire français. Depuis 1986, la lutte contre les étrangers en situation irrégulière et les sanctions qui l’accompagnent s’intensifient également. Le droit du sol, c’est-à-dire la possibilité, pour un enfant né en France de parents étrangers, d’acquérir à terme la nationalité française, est un sujet particulièrement inflammable et souvent mis en avant dans les nouveaux projets de loi.
La dernière loi en date, la « loi Collomb » de 2018, introduit une limitation du droit du sol à Mayotte, où arrivent beaucoup de migrants originaires des Comores. Un amendement introduit par un sénateur LREM et soutenu par Emmanuel Macron qui crée une exception dans ce département d’outre-mer.
Le projet de loi sur l’immigration présenté ce mercredi 1er février en Conseil des ministres est donc le vingt-deuxième.
Le texte sera examiné en premier au Sénat, dominé par l’opposition de droite, avant d’arriver à l’Assemblée.
Le projet de loi est porté par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, pour son volet sécuritaire (le plus important), et celui du Travail, Olivier Dussopt, pour la partie plus économique et sociale.
Les principales dispositions de la loi
– Expulsions: priorité aux délinquants
C’est le principal volet du projet de loi (la moitié des vingt-cinq articles) : il s’agir de faciliter les expulsions, en premier lieu celles des étrangers déjà condamnés « pour des crimes et délits punis de dix ans ou plus d’emprisonnement ».
Le gouvernement veut « réduire le champ des protections contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français (OQTF) lorsque l’étranger a commis des faits constituant une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’Etat ». Dans son viseur, les « protections » dont bénéficient certains étrangers, notamment ceux résidant en France depuis plus de dix ans, un « frein à l’éloignement », résume l’exécutif dans le texte transmis mi-décembre au Conseil d’État. Alors que le taux d’exécution des OQTF, objet de polémiques récurrentes, se situe sous les 10%, le gouvernement veut « simplifier les règles du contentieux » qui engorge les tribunaux administratifs, en réduisant de douze à quatre les recours possibles contre les expulsions. La « part des ressortissants étrangers dans la délinquance représente (…) plus du double de leur représentation dans la population », met en avant le gouvernement.– Réformer le système d’asile
Toujours dans l’objectif d’expulser plus efficacement, mais aussi pour accélérer les procédures, une « réforme structurelle » de l’asile est prévue. L’État veut élargir le recours à un juge unique à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), qui statue essentiellement de façon collégiale, sauf pour des cas « complexes ». Il s’agit « d’adapter » la CNDA à « l’ampleur du contentieux ». Le texte prévoit aussi la création de « chambres territoriales du droit d’asile », alors que la CNDA est actuellement basée dans la seule région parisienne.
Des espaces « France Asile » sont envisagés, regroupant des agents de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et des préfectures. L’objectif: « Raccourcir de plusieurs semaines les délais de la procédure ».– Régulariser les travailleurs sans-papiers
L’exécutif veut permettre aux travailleurs sans-papiers présents sur le territoire depuis trois ans d’obtenir un titre de séjour « métiers en tension », valide un an, dans les secteurs en pénurie de main d’œuvre. Une mesure « expérimentale », prévue jusqu’au 31 décembre 2026. La liste des métiers en tension doit, elle, encore être actualisée.
Le projet de loi prévoit par ailleurs la création d’une carte de séjour pluriannuelle « talent – professions médicales et de pharmacie », destinée aux praticiens diplômés hors Union européenne, « dès lors qu’ils sont recrutés par un établissement de santé public ou privé à but non lucratif ».
Ce titre, qui ouvre droit à une carte de séjour d’une durée maximale de quatre ans, vise à « répondre au besoin de recrutement de personnels qualifiés de santé » que sont les médecins, les sages-femmes, les chirurgiens-dentistes et les pharmaciens.
Le gouvernement veut aussi permettre un accès au marché du travail pour les demandeurs d’asile «dont il est fortement probable, au regard de leur nationalité, qu’ils obtiendront une protection internationale en France », les exonérant ainsi d’un délai de carence de six mois.– Intégration: niveau minimal de français requis
L’exécutif veut « conditionner la première délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle à la maîtrise d’un niveau minimal de français », là où une simple participation à une formation linguistique est aujourd’hui requise.
La mesure vise à « inciter les étrangers qui souhaitent demeurer durablement sur le territoire à se mobiliser davantage dans leur apprentissage du français », afin de « favoriser leur intégration en France ».(avec AFP)