Dans un blog publié le 7 juillet, le Fonds monétaire international identifie trois priorités stratégiques pour aider le Nigéria à exploiter pleinement son potentiel économique. Mais ces recommandations, saluant les réformes engagées depuis 2023, mettent aussi en lumière les tensions sociales et les risques de déséquilibre que pourrait accentuer une mauvaise mise en œuvre.
Les économistes du FMI, Axel Schimmelpfennig et Christian Ebeke, appellent d’abord à une croissance plus soutenue pour sortir des millions de Nigérians de la pauvreté. Cela suppose un élargissement du système de transferts monétaires, aujourd’hui limité, alors que 42 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et que le PIB réel par habitant a reculé en moyenne de 0,7 % par an entre 2014 et 2023. Mais une telle politique risque d’aggraver l’inflation déjà supérieure à 20 %, si elle n’est pas accompagnée d’un sursaut de productivité, notamment agricole.
Deuxième axe du FMI : mettre en place un cadre budgétaire efficace. Cela passe par une gestion rigoureuse des dépenses, des hypothèses réalistes et une plus grande transparence. Le dilemme est connu : comment investir massivement dans l’énergie, l’éducation ou les routes, sans compromettre la stabilité macroéconomique ? Enfin, l’institution insiste sur l’élargissement de l’assiette fiscale. À moins de 10 % du PIB, les recettes publiques nigérianes restent parmi les plus faibles au monde. Le FMI préconise une simplification du système fiscal, tout en reconnaissant le poids de l’informel (plus de 60 % de l’économie) et l’usure de la classe moyenne.
Le Nigéria a engagé depuis 2023 plusieurs réformes majeures : libéralisation du marché des changes, arrêt du financement monétaire du déficit, suppression des subventions au carburant. Des mesures saluées par le FMI qui ont permis le retour du pays sur les marchés internationaux en décembre et amélioré sa notation souveraine. La mise en service de la raffinerie Dangote alimente aussi l’espoir d’un redéploiement de la chaîne pétrolière à l’échelle nationale.
Mais la libéralisation du naira a aussi provoqué une dévaluation brutale, renchérissant les importations dans un pays très dépendant des biens étrangers. Les prix alimentaires et industriels s’envolent, érodant le pouvoir d’achat. À cela s’ajoute l’extrême vulnérabilité aux chocs pétroliers : 30 % des recettes publiques restent liées aux exportations de brut, soumises aux fluctuations du marché mondial et aux quotas de l’OPEP.
Le principal obstacle aux réformes ne sera peut-être pas économique, mais politique. La redistribution opaque des rentes pétrolières, la faiblesse institutionnelle et la résistance d’élites rétives à la transparence entravent toute volonté de rupture. Les manifestations qui ont suivi la fin des subventions en sont un exemple : l’impact social immédiat peut rapidement éroder le capital politique d’un gouvernement réformiste.
À ce stade, le Nigéria peut tirer des leçons des expériences étrangères. Là où des ajustements brutaux ont produit des crises sociales — Argentine dans les années 1990, Grèce post-2010 —, d’autres pays comme le Vietnam ou l’Éthiopie ont choisi des investissements publics ambitieux pour soutenir la croissance. Ce modèle pourrait inspirer Abuja : en misant sur l’infrastructure, même au prix d’un déficit temporaire, le pays pourrait poser les bases d’un développement plus autonome.
Le Nigéria, avec ses ressources naturelles, sa jeunesse et un marché intérieur de 200 millions de personnes, a les cartes en main. Mais il doit adopter une stratégie séquencée et réaliste. Prioriser les investissements dans l’énergie et le transport, tout en développant des partenariats public-privé, permettrait de desserrer les contraintes actuelles. À condition, toutefois, de maintenir l’équilibre entre stabilité macroéconomique et exigences sociales, dans un contexte où chaque arbitrage économique est aussi un test politique.