Au moins vingt personnes ont été tuées entre le 10 et le 13 juin dans le canton de Molou, dans la province du Ouaddaï, à la suite de violences intercommunautaires déclenchées par un différend lié au vol d’une moto. L’affaire a d’abord été étouffée localement, avant que les médias, des députés et la société civile ne la rendent publique, provoquant un tollé national. Ce n’est qu’une semaine plus tard que le gouvernement tchadien a réagi, sans condamner officiellement les faits ni désigner de responsables.
Tout est parti du vol d’une moto par deux jeunes, qui ont grièvement blessé le propriétaire. Celui-ci a succombé à ses blessures, entraînant une traque qui s’est soldée par la mort des deux voleurs et de deux villageois. En représailles, des proches des voleurs, armés et vêtus de treillis militaires, sont revenus tirer sur les habitants, tuant quatre personnes. Deux jours plus tard, une nouvelle attaque, visant une veillée funèbre, a fait dix morts supplémentaires. Le bilan s’élève à plus de vingt tués et seize blessés.
Dans un premier temps, les responsables locaux ont tenté d’étouffer l’affaire par une “diya”, compensation traditionnelle pour les crimes de sang. Ce choix a été perçu comme une manière d’éviter toute poursuite judiciaire. Le gouverneur de la province, le général Ismaël Yamouda Djorbo, s’est finalement rendu sur les lieux, mais sans procéder à la moindre arrestation. Cette attitude a renforcé le sentiment d’injustice parmi les habitants et les représentants politiques de la région.
La réaction du gouvernement central, jugée tardive et sélective, alimente la colère. Le député Yacine Abdramane Sakine dénonce une gestion à deux vitesses des crises : dans d’autres cas récents, des suspects ont été arrêtés rapidement, y compris des responsables politiques. À Molou, malgré le massacre, aucune communication officielle n’a été publiée, et aucune mesure judiciaire n’a été annoncée. Pour de nombreux observateurs, ce silence reflète un traitement inégal des citoyens en fonction de leur appartenance communautaire ou de leur position politique.
Ce n’est que le 17 juin qu’une délégation ministérielle s’est rendue dans la zone meurtrie. Elle comprenait notamment les ministres de la Sécurité, de la Justice et le porte-parole du gouvernement. Mais à ce jour, aucune déclaration publique n’a été faite, et les familles endeuillées n’ont reçu ni explications ni condoléances officielles. Cette inertie alimente les soupçons sur la proximité entre certains auteurs présumés et des acteurs étatiques.
Le Ouaddaï est régulièrement secoué par des tensions communautaires, souvent liées à des différends fonciers, des vols ou des rivalités ethniques, exacerbées par la prolifération d’armes et la porosité des frontières. La faiblesse des institutions locales, le manque de justice indépendante et l’usage arbitraire de la force par des individus en uniforme contribuent à entretenir un climat d’impunité. Dans ce contexte, le drame de Molou n’est pas un fait isolé, mais un symptôme alarmant des failles sécuritaires et politiques du Tchad.