Le Japon a émis une protestation officielle, ce mardi 24 mai, après que des bombardiers chinois et russes ont volé ensemble à proximité de son territoire, alors que se tenait le même jour à Tokyo une réunion du « Quad », qui rassemble de manière informelle les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde.
Le ministre japonais de la Défense a pris la parole, ce mardi, pour exprimer les « graves inquiétudes » de l’archipel nippon. « Deux bombardiers chinois ont rejoint deux bombardiers russes en mer du Japon et ont effectué un vol groupé vers la mer de Chine orientale », a déclaré Nobuo Kishi à la presse.
Après quoi quatre avions au total, « ont opéré un vol groupé de la mer de Chine orientale à l’océan Pacifique », a-t-il ajouté, précisant encore qu’un avion russe de surveillance et de renseignement avait, par ailleurs et toujours ce mardi, volé du nord de l’île d’Hokkaido jusqu’à la péninsule de Noto.
Flash: Japan release pictures of Russian TU-95 bomber & Chinese H-6 bombers who came near it’s airspace as Quad summit was underway in Tokyo pic.twitter.com/nTZxLxymo7
— Sidhant Sibal (@sidhant) May 24, 2022
M. Kishi a conclu son propos en qualifiant ces agissements de particulièrement « provocateurs ». « Nous avons exprimé par les canaux diplomatiques nos graves inquiétudes du point de vue de notre pays et pour la sécurité régionale », a confié le ministre japonais de la Défense.
« Alors que la communauté internationale répond à l’agression de l’Ukraine par la Russie, le fait que la Chine ait entrepris une telle action en collaboration avec la Russie (…) est préoccupant. Cela ne peut être sous-estimé », souligne encore Nobuo Kishi, cité par l’Agence France-Presse (AFP).
Tu-95 et Xian H-6
Pékin a confirmé : ces vols, indique le ministère chinois de la Défense par communiqué, entrent dans le cadre du « plan annuel de coopération militaire » bilatéral. « Une patrouille aérienne stratégique conjointe de routine », « dans l’espace aérien au-dessus de la mer du Japon, de la mer de Chine orientale et des zones maritimes du Pacifique occidental », écrit la République populaire de Chine.
Moscou a également confirmé, par communiqué. Ce sont des bombardiers stratégiques russes Tu-95 et chinois Xian H-6, qui ont participé aux vols, pendant 13 heures, au-dessus des mers de Chine et du Japon, selon les explications fournies par le ministère russe de la Défense.
Outre la guerre en Ukraine, outre les propos récents de Joe Biden au sujet de Taïwan, ces vols coordonnés entre Russes et Chinois interviennent alors que Tokyo accueille un sommet du « Quad », alliance informelle des dirigeants américains, australiens, indiens et japonais (voir encadré).
« Modifier le statu quo »
Les avions chinois et russes ne sont pas entrés dans l’espace aérien japonais. Mais c’est la quatrième fois que de tels vols groupés ont lieu à proximité de l’archipel depuis novembre dernier, selon le ministère nippon de la Défense. Tokyo fait régulièrement décoller des avions de combat dans la zone.
Ce fut à nouveau le cas cette fois-ci : le Japon a envoyé des avions de combat à la rencontre des appareils russes et chinois, alors qu’ils approchaient de l’espace aérien japonais, a expliqué le ministre Nobuo Kishi. La Corée du Sud a également fait décoller des avions pour escorter ces rivaux.
Par communiqué toujours, les dirigeants de l’alliance informelle Quad réunis à Tokyo ont réagi aussi, après ces opérations des armées de l’air russe et chinoise, alertant contre toute tentative, disent-ils, « de modifier le statu quo par la force », sans citer explicitement la Fédération de Russie et la RPC.
Le « statu quo », c’est en quelque sorte « l’endiguement », de nos jours encore, de la projection chinoise en haute mer et dans les profondeurs, pour des raisons relatives à la dissuasion nucléaire, notamment. Un responsable américain rapporte, via l’agence de presse Reuters, que cette opération sino-russe vient démontrer toute l’étendue de la coopération militaire actuelle entre les deux pays.
Cette proximité affichée entre la Russie et la Chine interroge, explique Marianne Péron-Doise, chercheure experte de l’Asie à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem).
C’est la Russie qui tente de chercher un soutien auprès de la Chine. Il y a quand même un rapprochement d’opportunité entre ces deux « acteurs du désordre » qui, effectivement, trouvent un intérêt à se soutenir l’un l’autre, parce que leur intérêt stratégique, c’est de faire contrepoids aux initiatives, à l’influence économique, stratégique, diplomatique des États-Unis. Donc, ce rapprochement, il se comprend. La marine chinoise et la marine russe ont déjà effectué des exercices ensemble, ont déjà inquiété d’ailleurs, puisqu’on s’était interrogés sur jusqu’où ils pouvaient aller. Mais ce qu’il faut voir aussi, c’est que l’administration Biden devient de plus en plus, je dirais, dynamique, prend de plus en plus d’initiatives. Elle est à la manœuvre en ce qui concerne la sécurité dans l’espace indo-pacifique…
Exercices en Méditerranée
Selon un officiel américain, c’est le premier exercice conjoint sino-russe depuis le début de la guerre en Ukraine, le 24 février. Pékin prouve ainsi son soutien à Moscou, alors que le président américain a déclaré que Washington serait prêt à employer la force, en cas d’offensive chinoise sur l’île de Taïwan.
À noter que l’Otan mène de son côté, du 17 au 31 mai, une véritable démonstration de force en Méditerranée orientale, « Bouclier de Neptune 2022 ». Lundi, des avions de combat se sont entraînés autour du porte-avions USS Harry S. Truman, au nord de Benghazi, en Libye.
Le « Quad » ne veut pas trop ouvertement défier la Chine
Le « Quad » s’oppose à tout changement de statu quo par la force. Mais dans sa déclaration finale, il évite de condamner la Chine et la Russie. Le Premier ministre japonais Fumio Kishida constate seulement que « l’invasion de l’Ukraine par la Russie viole les principes fondamentaux de l’ordre international ».
Pourquoi cette prudence des quatre dirigeants du Quad envers la Russie ? Parce que l’Inde refuse de condamner l’invasion de l’Ukraine ou de réduire son commerce avec la Russie. Or, les États-Unis, le Japon et l’Australie se servent du Quad pour courtiser l’Inde, qui tient à son statut de non aligné.
Les quatre pays ne veulent pas non plus être perçus comme défiant ouvertement la Chine. Dans leur déclaration, l’archipel de Taïwan n’est pas mentionné. Le président américain Joe Biden confirme, ce mardi, que la « stratégie d’ambiguïté » américaine vis-a-vis de Taipei reste inchangée. Lundi, il affirmait que Washington défendrait l’île indépendante en cas d’invasion chinoise.
En bilatéral, les pays membres du Quad dénoncent les atrocités russes en Ukraine, ou encore la militarisation de certaines zones de l’océan Pacifique par la Chine. Au sein du Quad, ils mettent en avant ses grands principes fondateurs : maintenir un Indo-Pacifique libre ; développer des actions de « soft power » pour marquer leur différence avec les régimes autoritaires chinois et russe.
C’est ainsi que le Quad investira 50 milliards de dollars sur cinq ans dans des projets d’infrastructures informatiques plus sûres, et dans la lutte contre le changement climatique pour nouer des liens avec des nations du Pacifique, comme les îles Salomon qui ont conclu un pacte de sécurité avec Pékin.
Le Quad mettra en place un système de surveillance maritime pour suivre les activités chinoises dans la région, telles que la pêche illégale. Le groupe du Quad cimente ainsi, à Tokyo, son alliance informelle, même si cette dernière ne constitue pas encore un bloc anti-chinois.
Correspondance à Tokyo,
Frédéric Charles