Au sommet annuel de l’Union africaine, qui se tiendra à Addis-Abeba les 15 et 16 février, le destin de la Commission continentale se joue avec la candidature de trois prétendants pour succéder au Tchadien Moussa Faki Mahamat. En lice, Raila Odinga du Kenya, Richard Randriamandrato de Madagascar et Mahamoud Ali Youssouf de Djibouti se livrent une bataille féroce pour obtenir les deux tiers des voix des 49 États membres.
À la veille du scrutin, la compétition s’intensifie alors que chaque candidat multiplie ses démarches auprès des chefs d’État. D’un côté, Mahamoud Ali Youssouf, diplomate aguerri et ministre des Affaires étrangères de Djibouti depuis 20 ans, se distingue par sa maîtrise des arcanes de l’UA et son profil trilingue à 59 ans. De l’autre, Raila Odinga, opposant historique kényan âgé de 80 ans, bénéficie du soutien affirmé de figures politiques comme le président William Ruto, malgré un palmarès électoral contrasté. Par ailleurs, le candidat malgache Richard Randriamandrato, longtemps considéré comme outsider, vient raviver la compétition avec le soutien inattendu du secrétaire général de la SADC.
Cette lutte pour la présidence de la Commission intervient dans un climat d’incertitude caractérisé par des votes à bulletin secret, où les alliances se font et se défont jusqu’au dernier moment. Historiquement, l’UA a connu des scrutins laborieux, comme lors de l’élection de Moussa Faki Mahamat il y a huit ans, où des reports de voix ont permis de départager des candidats initialement mal positionnés. La dynamique actuelle se nourrit ainsi des précédents de négociations intenses et de compromis entre blocs régionaux, sans oublier le jeu d’influences propres aux relations interétatiques sur le continent.
Les enjeux futurs sont multiples. Si aucun candidat n’obtient dès le premier tour les 28 voix requises, de nouveaux tours de scrutin pourraient modifier l’équilibre des forces. Les observateurs pointent notamment le risque que l’expérience politique de Raila Odinga, parfois perçue comme une présomption de pouvoir, se retourne contre lui auprès de certains chefs d’État réticents à confier la direction de l’UA à un leader ayant un profil de « chef de fait ». De plus, le soutien inattendu apporté à Randriamandrato par la SADC pourrait redéfinir les alliances traditionnelles et imposer une réévaluation des candidatures lors des tours suivants.
Au cœur des discussions, la Guinée-Bissau reste indécise malgré une préférence initiale pour le candidat kényan. Dans une récente interview, son ministre des Affaires étrangères a déclaré attendre le moment décisif du scrutin pour trancher, soulignant ainsi la complexité des négociations au sein de l’UA. Ce jeu d’attente témoigne d’une volonté de ne pas se précipiter, chaque État préférant peser soigneusement le profil et les atouts des candidats avant de s’engager.
Les avis se partagent également parmi les experts de la sécurité et des affaires africaines. Paul-Simon Handy, directeur du bureau UA et Afrique de l’Est à l’Institut d’études de sécurité, met en garde contre le risque que l’expérience politique de certains candidats ne devienne un handicap. Tandis que le scrutin à venir promet son lot de surprises, il est clair que le choix du prochain président de la Commission de l’Union africaine aura des répercussions majeures sur la gouvernance et l’unité politique du continent dans les années à venir.