Kemi Seba, l’influenceur anti-occidental, est au Tchad depuis plus d’une semaine, où sa présence suscite de vives réactions. Il a notamment donné une conférence de presse le 3 mai dernier, où il a critiqué vigoureusement le franc CFA et la politique française en Afrique. Cette intervention, loin de passer inaperçue, a déclenché une polémique. Ses détracteurs estiment que le pouvoir tchadien, bien que l’ayant accueilli, ne veut pas assumer publiquement son soutien à cet activiste controversé.
La conférence de presse de Kemi Seba a été organisée dans des conditions privilégiées, avec l’appui apparent des autorités tchadiennes. L’influenceur a bénéficié d’une sécurité renforcée, d’un transport de luxe en 4×4 et d’un hébergement au Radisson Blu, un hôtel où les personnalités officielles séjournent généralement. De plus, la grande salle de conférence du ministère des Affaires étrangères a été mise à sa disposition. Pour ses détracteurs, cela confirme que Seba est en visite officielle, soutenue par le gouvernement tchadien. Cependant, des responsables proches de la présidence ont réfuté cette version, expliquant que la salle avait été louée par l’ONG locale Urgence panafricaine, dont Seba est le président.
Certains analystes estiment que la popularité croissante de Kemi Seba au Tchad n’est pas surprenante. Le discours souverainiste et panafricaniste qu’il véhicule trouve un écho favorable auprès de certains secteurs de la jeunesse tchadienne. Le chercheur Hoinathy Remadji explique que les positions du pays semblent de plus en plus converger vers celles des pays de l’Afrique de l’Est et du Sahel (AES), qui promeuvent des valeurs de souveraineté nationale et de panafricanisme. Cela s’ajoute à la résonance croissante de son message parmi les jeunes, en quête de modèles alternatifs face aux défis de leur époque.
Toutefois, l’adhésion au discours de Kemi Seba soulève des interrogations. L’influenceur, figure de proue de la lutte contre le néocolonialisme, suscite des soutiens, mais également des critiques, notamment sur son approche simpliste. Le président du Rassemblement de la jeunesse africaine, Bechir Hassan Oumar, reconnaît la pertinence des combats menés par Seba, tels que la lutte contre le franc CFA et l’ingérence économique et militaire de la France, mais s’oppose à son radicalisme. Selon lui, la rupture prônée par Seba est contre-productive et ne correspond pas à une vision pragmatique des relations entre les pays africains.
L’ancienne figure de proue de la diplomatie tchadienne, Abderamane Koulamallah, va plus loin en dénonçant l’instrumentalisation de ce discours par des acteurs politiques aux intérêts personnels. Selon lui, la souveraineté des États africains ne doit pas être un terrain d’opportunisme, ni une simple vitrine pour ceux qui cherchent à se faire un nom sur des questions complexes. Pour Koulamallah, l’usage théâtral de sujets aussi cruciaux par des personnages comme Kemi Seba nuit à la compréhension profonde des enjeux.
Les perspectives liées à la présence de Kemi Seba au Tchad restent floues. Si son message a trouvé une audience, notamment parmi les jeunes, son influence pourrait-elle durer ou se limiter à une mode passagère ? La politique tchadienne, sous la présidence de Mahamat Idriss Déby, semble être à un carrefour entre la défense de la souveraineté nationale et l’ouverture à des influences externes. Le rôle de l’influenceur dans cette dynamique pourrait être déterminant, mais il dépendra de la capacité des autorités à naviguer entre soutien populaire et diplomatie pragmatique.