Quinze ans après l’ouverture du dossier des « biens mal acquis » visant le clan Bongo, l’ONG française Sherpa a annoncé sa constitution en partie civile. Elle entend ainsi peser sur la future phase judiciaire de cette affaire emblématique de la lutte contre la corruption, dont le procès ne devrait pas se tenir avant 2026. Le juge d’instruction ayant clos ses investigations, le parquet national financier doit désormais déterminer lesquels des onze mis en cause seront renvoyés devant la justice.
L’affaire concerne notamment plusieurs membres de la famille de l’ex-président Omar Bongo, décédé en 2009. Ils sont soupçonnés d’avoir amassé un vaste patrimoine immobilier en France à partir de fonds détournés au Gabon. Selon l’instruction, ces biens, acquis via des montages opaques, seraient le fruit d’un système organisé de détournement de fonds publics et de blanchiment, pour un total estimé à 85 millions d’euros, soit environ 56 milliards de francs CFA.
La démarche de Sherpa vise aussi à braquer les projecteurs sur les facilitateurs du système, au premier rang desquels figure la banque BNP Paribas. L’organisation dénonce un manquement grave à ses obligations de vigilance, notamment dans la gestion des comptes liés à « Atelier 74 », une structure fictive que le clan Bongo aurait utilisée pour faire transiter des fonds issus de la corruption. Selon Jean-Philippe Foegle, responsable contentieux de Sherpa, la banque aurait dû bloquer ces flux suspects.
Au-delà du cas spécifique du Gabon, Sherpa espère que cette affaire contribuera à faire évoluer le cadre législatif français et européen en matière de lutte contre le blanchiment. L’ONG évoque une directive européenne récemment adoptée qui pourrait imposer des obligations renforcées aux établissements financiers. L’objectif est clair : pousser les banques à jouer un rôle plus actif dans la détection des flux illicites.
En se constituant partie civile, Sherpa ne cherche pas seulement à influer sur le sort des prévenus, mais à provoquer un débat plus large sur les responsabilités institutionnelles dans la circulation de l’argent sale. Pour l’ONG, il est urgent d’adapter les mécanismes de régulation aux nouvelles formes de corruption, qui passent aujourd’hui par des circuits plus complexes, incluant les cryptomonnaies et des réseaux d’intermédiaires moins visibles mais tout aussi efficaces.