En République démocratique du Congo, le ministre de la Justice, Constant Mutamba, est accusé de détournement de fonds publics dans une affaire liée à un marché de 29 millions de dollars pour la construction d’une prison à Kisangani. En réaction, il a récusé, le 10 juin, le procureur général près la Cour de cassation, Firmin Mvonde, qui venait de solliciter auprès de l’Assemblée nationale l’autorisation de le poursuivre. Une escalade qui révèle la profondeur de la crise entre le ministre et la justice.
Au cœur du scandale : le Fonds de réparation et d’indemnisation des victimes des activités illicites de l’Ouganda en RDC (Frivao), un organisme censé indemniser les victimes des violences entre 1998 et 2003 dans l’est du pays. Ce fonds, alimenté par les premières tranches (195 millions sur 325 millions) du paiement imposé à Kampala par la Cour internationale de justice, aurait financé un marché public sans respecter les procédures habituelles. Sur les 29 millions alloués à la construction d’une prison, 19 millions auraient été versés en dehors des règles, selon les accusations.
Créé en 2023, le Frivao est placé sous la tutelle du ministère de la Justice. Constant Mutamba, en poste depuis mi-2023, dit avoir hérité d’un système bancal. Il affirme avoir découvert des irrégularités dans la gestion antérieure : peu de victimes indemnisées malgré des décaissements importants. Depuis son arrivée, plus de 14 000 victimes auraient été compensées, à hauteur de 2 000 dollars chacune, contre seulement 200 dollars auparavant. Mutamba assure donc que l’usage des fonds a été corrigé et justifié.
Le ministre affirme que la clé de répartition des fonds prévoyait bien une part (12 à 12,5 %) pour le ministère de la Justice afin de financer des projets publics, notamment dans la région de la Grande Orientale. Il se base sur une note de l’Inspection générale des finances, qui, de son côté, précise n’avoir fait que rappeler l’application d’une décision antérieure du conseil des ministres. Cette ambigüité alimente les soupçons : la frontière entre gestion légale des fonds et usage abusif reste floue.
En récusant le procureur général et les magistrats sous son autorité, Constant Mutamba choisit l’affrontement. Il dénonce un « complot politique » et se dit victime d’« acharnement ». Mais cette défense radicale soulève des inquiétudes sur l’indépendance de la justice et la capacité des institutions congolaises à faire la lumière sur une affaire impliquant des montants aussi sensibles. D’autant que le Frivao reste un symbole de justice pour des milliers de victimes de guerre.
Au-delà du cas Mutamba, ce dossier met en lumière la gestion opaque des ressources issues des réparations internationales. À qui profite réellement l’argent versé par l’Ouganda ? Comment éviter que ces fonds, censés réparer des souffrances passées, ne deviennent une source de conflit politique et de corruption ? Autant de questions qui s’imposent à l’État congolais, dont la crédibilité est ici directement en jeu.