Quatre-vingts ans après le massacre de Thiaroye, Biram Senghor, fils de l’un des tirailleurs tués par l’armée coloniale française, a déposé plainte contre X et contre l’État français pour recel de cadavre. À 86 ans, il cherche toujours à savoir où repose son père, M’Bap Senghor, abattu le 1er décembre 1944 pour avoir revendiqué le paiement de sa solde due.
Cette initiative judiciaire intervient quelques mois après que la France a officiellement reconnu M’Bap Senghor comme « Mort pour la France », et qualifié les événements de Thiaroye de « massacre ». Pourtant, cette reconnaissance reste, selon plusieurs historiens, largement incomplète. Si les autorités françaises évoquent 35 morts, certains travaux estiment que plus de 400 tirailleurs ont été tués. Quant aux lieux d’inhumation, ils demeurent à ce jour non identifiés.
Le massacre de Thiaroye s’est déroulé dans un contexte explosif. Des soldats africains, démobilisés après avoir servi la France pendant la Seconde Guerre mondiale, manifestaient pour obtenir leur solde. L’armée française a alors ouvert le feu. Depuis, le traitement historique de cet épisode reste flou, entravé par des silences d’État et des archives difficilement accessibles. François Hollande, lors d’une visite à Dakar en 2014, avait assuré avoir transmis l’ensemble des documents disponibles. Mais des chercheurs et les familles des victimes dénoncent encore aujourd’hui l’opacité de ces archives.
L’avocat de Biram Senghor, Maître Amadou Dieng, s’appuie sur l’article 434-7 du Code pénal français, qui sanctionne l’obstruction à la découverte d’un cadavre. Selon lui, des documents permettant de localiser les corps existent et leur non-divulgation constitue une infraction. « Il faut qu’ils nous disent où se trouve le cadavre », insiste-t-il, dénonçant une entrave systématique à l’accès aux archives.
La plainte déposée à Paris marque une nouvelle étape dans la longue lutte pour la reconnaissance des tirailleurs africains. Elle pose frontalement la question de la responsabilité de l’État français dans la dissimulation des traces de ce crime colonial. Elle pourrait aussi ouvrir la voie à d’autres actions judiciaires de descendants de victimes, bien au-delà du cas Senghor.
En reconnaissant officiellement le massacre, Paris a franchi une étape symbolique. Mais tant que les archives ne sont pas pleinement accessibles et que les corps des victimes ne sont pas localisés, cette reconnaissance reste inachevée. L’affaire portée par Biram Senghor ravive une exigence de vérité et de justice, et met à l’épreuve la volonté réelle de l’État français d’assumer son passé colonial.