Lors d’un forum tenu à Bruxelles le 9 octobre, le président congolais Félix Tshisekedi a surpris en lançant un appel direct à son homologue rwandais. « Je prends à témoin ce forum et le monde entier pour vous tendre la main afin que nous fassions la paix des braves », a-t-il déclaré devant Paul Kagame, présent dans la salle. Le chef de l’État congolais a exhorté Kigali à ordonner au mouvement rebelle M23, qu’il accuse d’être soutenu par le Rwanda, de cesser les hostilités dans l’est de la RDC. « Nous sommes les deux seuls capables de mettre fin à cette escalade », a-t-il insisté.
Paul Kagame, resté silencieux sur le moment, a finalement réagi quelques heures plus tard sur X. Par une métaphore évocatrice, il a semblé balayer d’un revers de main l’initiative congolaise : « Si l’on s’attarde sur le bruit d’un tambour vide, c’est qu’on a soi-même un problème ! Mieux vaut laisser passer ou s’en éloigner. » Une manière à peine voilée de signifier qu’il ne compte pas modifier sa position. Ce nouvel épisode illustre la méfiance persistante entre les deux dirigeants, malgré la signature, le 27 juin dernier à Washington, d’un accord censé mettre fin au conflit.
Trois mois après la médiation américaine, les affrontements se poursuivent dans le Sud-Kivu, où l’armée congolaise a perdu plusieurs positions stratégiques, notamment à Nzibira, Luntukulu et Chulwe. Kinshasa accuse Kigali de soutenir activement le M23, estimant que ce mouvement ne dispose pas, à lui seul, des moyens nécessaires pour affronter l’armée nationale. En réponse, le Rwanda dénonce la collusion des Forces armées congolaises (FARDC) avec les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), un groupe hostile à son régime. L’absence d’avancée concrète dans le démantèlement de ces liens bloque la mise en œuvre effective de l’accord de Washington.
Le gouvernement congolais, par la voix de sa ministre des Affaires étrangères Thérèse Kayikwamba Wagner, s’est récemment dit déçu du manque de fermeté de l’Union européenne face à Kigali. À Kinshasa, la frustration est d’autant plus vive que le partenariat minier avec les États-Unis profite déjà au Rwanda, qui a livré fin septembre sa première cargaison de tungstène à Washington. Pour les autorités congolaises, voir leur voisin engranger les bénéfices d’un accord similaire alors que leurs propres zones minières restent instables relève d’une profonde injustice.
Au cœur du blocage se trouve la question du dialogue direct avec le mouvement rebelle AFC/M23. Pour Félix Tshisekedi, il s’agit d’une ligne rouge : négocier avec un groupe qu’il considère comme une émanation de Kigali reviendrait à légitimer l’ingérence rwandaise. Pourtant, le Rwanda, soutenu par la médiation de Doha, refuse toute avancée sans la participation du M23. Cette impasse fragilise la position congolaise, d’autant que les thèmes proposés à la table de Doha – gouvernance, intégration des combattants, décentralisation – touchent à des points constitutionnels sensibles.
Face à cet enlisement, Tshisekedi semble avoir choisi d’afficher publiquement une ouverture calculée. En tendant la main à Kagame à Bruxelles, il savait sans doute que l’offre serait rejetée, mais il voulait, selon un proche cité par RFI, « montrer au monde la responsabilité du Rwanda dans le drame de l’est ». Cette démarche vise moins à relancer un processus de paix qu’à repositionner Kinshasa sur la scène diplomatique internationale, en se présentant comme l’acteur de bonne foi face à un voisin perçu comme intransigeant.