Une enquête sous-marine de haute tension est en cours au large du Sénégal. Les autorités du port autonome de Dakar ont dépêché, mercredi 3 décembre, une équipe de plongeurs démineurs pour inspecter la coque du pétrolier Mersin, un navire endommagé et partiellement immergé qui transporte 39 000 tonnes de carburant. L’opération vise à vérifier les déclarations de l’armateur turc, qui affirme que le bateau a été victime d’explosions externes, ouvrant potentiellement la voie à une piste criminelle.
L’objectif de cette mission est double et urgent. Il s’agit d’abord d’établir un diagnostic précis des dommages subis par le Mersin, dont une faille avait été repérée en salle des machines dès le 27 novembre, faisant craindre une catastrophe écologique. En parallèle, les experts mènent des « interventions ciblées sur la coque » pour rechercher d’éventuelles traces d’une agression délibérée. À ce stade, Dakar se refuse à toute conclusion, n’ayant confirmé ni la nature ni l’origine des dégâts, mais l’envoi de plongeurs démineurs valide la sériosité de cette hypothèse.
Cette affaire s’inscrit dans un contexte géopolitique et énergétique particulièrement inflammable. Selon une source militaire européenne interrogée par RFI, le Mersin pourrait appartenir à la « flotte fantôme » russe. Ce terme désigne un réseau de navires opaques, souvent âgés et sous pavillons de complaisance, utilisé par Moscou pour contourner les sanctions internationales et assurer ses exportations de pétrole et de carburant. Cette flotte est devenue une cible dans le conflit en Ukraine, où des attaques contre des navires liés à la Russie se sont multipliées.
Les perspectives immédiates sont dominées par la double menace d’une marée noire et d’une escalade géopolitique. La priorité absolue des autorités sénégalaises reste le transbordement sécurisé des 39 000 tonnes de carburant, une opération périlleuse qui n’a pas encore commencé. Un barrage antipollution est en place pour contenir une éventuelle fuite. Sur le plan judiciaire et diplomatique, la confirmation d’une attaque délibérée poserait de graves questions sur l’importation d’un conflit lointain dans les eaux ouest-africaines et sur la sécurité maritime régionale.
Des médias russes et turcs alimentent l’hypothèse d’une implication du conflit ukrainien, évoquant la possibilité d’une attaque par drones sous-marins similaires à ceux utilisés contre la marine russe en mer Noire fin décembre. Cette théorie, si elle n’est pas officiellement étayée, illustre comment un incident maritime local peut instantanément être réinterprété à l’aune des rivalités mondiales. Elle place le Sénégal dans une position délicate d’arbitre et de première victime potentielle.
Au-delà du drame écologique en gestation, cet incident met en lumière les risques systémiques liés au trafic de la « flotte fantôme ». L’utilisation de navires vétustes, aux assurances et propriétaires obscurs, pour transporter des matières dangereuses expose les États côtiers, souvent dépourvus de moyens de réponse adéquats, à des accidents majeurs. Le cas du Mersin, qu’il résulte d’un sabotage ou d’une avarie, sert de révélateur aux failles de la gouvernance maritime internationale en période de guerre économique.



