Le commandant des forces américaines pour l’Afrique, le général Dagvin Anderson, a conclu mardi une visite en Libye par une rencontre significative avec le maréchal Khalifa Haftar, le puissant homme fort de l’Est, dans son quartier général de Rajma, près de Benghazi. Cette entrevue, à laquelle participaient également le chargé d’affaires américain et deux fils de Haftar, confirme l’approche équilibrée et tous azimuts de Washington dans le dossier libyen.
Selon le service de presse de Haftar, les discussions ont principalement porté sur un approfondissement de la coopération en matière de sécurité et de défense. Les sujets concrets évoqués incluent la lutte contre le terrorisme, l’extrémisme violent et la traite des êtres humains, ainsi que l’intensification des programmes d’entraînement conjoints. Le partenariat envisagé dépasse même le cadre strictement militaire pour explorer des pistes de collaboration économique et commerciale, signalant une volonté d’ancrage plus durable.
Cette visite à Benghazi s’inscrit dans un double contexte. D’abord, celui d’une crise libyenne toujours bloquée, avec un pays coupé en deux depuis des années entre un gouvernement d’union nationale (GUN) reconnu par l’ONU à Tripoli et des institutions parallèles à l’Est, soutenues par l’Armée nationale libyenne (ANL) de Haftar. Ensuite, celui d’une réévaluation de la posture américaine, qui, après une période de relative distance, cherche à reprendre une influence directe sur la sécurité régionale, face à l’implantation croissante d’acteurs comme la Russie (via le groupe Wagner) et la Turquie.
Les perspectives ouvertes par cette double diplomatie sont claires. Washington entend rester un acteur incontournable dans la future architecture sécuritaire libyenne, quel que soit le scénario politique. L’objectif déclaré est de pousser à une unification des institutions militaires, condition perçue comme essentielle à toute stabilité durable. Le grand exercice militaire “Flintlock” prévu à Syrte en 2026, discuté lors de la phase tripolitaine de la tournée, doit servir de catalyseur à cette normalisation sous tutelle américaine.
Ce déplacement en deux temps est hautement symbolique. La veille, la même délégation d’Africom s’était en effet rendue à Tripoli pour s’entretenir avec le Premier ministre Abdulhamid Dbeibah et le chef d’état-major général Mohamed Al-Haddad. Le message est sans équivoque : les États-Unis refusent de choisir un camp exclusif et entendent dialoguer avec toutes les forces en présence pour éviter de se marginaliser et pour protéger leurs intérêts, notamment dans la lutte contre le jihadisme au Sahel.
Toutefois, cette stratégie d’équilibre comporte des risques intrinsèques. En traitant avec Haftar, une figure controversée et autoproclamée, sans mandat étatique légitime, Washington pourrait involontairement légitimer son statut d’interlocuteur incontournable et affaiblir les autorités centrales de Tripoli. Cela pourrait à terme complexifier davantage le processus d’unification plutôt que de le faciliter, en renforçant la perception de deux armées distinctes méritant chacune un partenariat international.
Au final, la tournée d’Africom révèle moins un changement de politique qu’une adaptation réaliste aux réalités du terrain libyen. Elle démontre la primauté des impératifs sécuritaires (contre-terrorisme, trafics, migration) sur les considérations purement politiques dans l’approche américaine actuelle. L’enjeu sera désormais de voir si ce dialogue parallèle peut véritablement servir de levier pour un rapprochement des factions ou s’il acte, pour encore longtemps, la réalité d’une Libye bipartite où les puissances étrangères négocient séparément avec chaque centre de pouvoir.



