La Haute Cour militaire de la République démocratique du Congo a condamné, vendredi, quatre généraux à des peines de prison ferme pour leur rôle dans la prise de la ville stratégique de Goma par les rebelles de l’AFC/M23 en janvier dernier. Ce verdict clôt un procès emblématique qui visait à établir les responsabilités dans l’une des plus graves défaites militaires récentes du pays.
Les peines prononcées vont d’un à trois ans d’emprisonnement. La sanction la plus lourde est infligée à Romuald Ekuka, ancien vice-gouverneur du Nord-Kivu et commissaire divisionnaire de police, reconnu coupable de « lâcheté et fuite face à l’ennemi ». Deux ans de prison ont été requis pour le chef de la police provinciale, Eddy Mukuna. Les deux autres prévenus, un commandant de brigade et un conseiller militaire, écopent d’un an chacun. Le parquet militaire, qui réclamait la peine de mort pour Ekuka et des peines allant jusqu’à la perpétuité pour d’autres, a vu ses réquisitions largement minorées par le tribunal.
Cette condamnation intervient dans un contexte sécuritaire extrêmement dégradé dans l’est de la RDC, où le groupe rebelle M23, réapparu fin 2021, a remporté une série de victoires éclairs face à une armée nationale (FARDC) régulièrement décriée pour son manque de moyens, sa faible cohésion et des cas de corruption. La chute de Goma, capitale du Nord-Kivu et poumon économique régional, avait constitué un choc politique et symbolique majeur pour le gouvernement du président Félix Tshisekedi, exposant au grand jour les dysfonctionnements profonds des forces armées.
Les perspectives liées à ce verdict sont ambivalentes. D’un côté, Kinshasa y voit une démonstration de sa volonté de solder les comptes de l’impunité au sein de l’armée, un message à destination tant de l’opinion publique que des bailleurs internationaux. De l’autre, la relative modération des peines, par rapport aux réquisitions, et le caractère non appellable des décisions de la Haute Cour militaire, suscitent des interrogations sur l’effectivité d’une réforme en profondeur de l’institution. Ce procès apparaît pour beaucoup comme un exercice de responsabilisation limité, ciblant des commandants locaux sans remettre en cause les chaînes de décision supérieures.
Durant les audiences tenues à huis clos, la défense des généraux avait plaidé un « repli stratégique », arguant que leurs actions s’étaient effectuées sur ordre de la hiérarchie. Le tribunal n’a pas retenu le chef d’accusation de « perte de matériel militaire » pour Ekuka, notamment concernant un avion de combat Sukhoi Su-27 et plusieurs blindés laissés aux mains des rebelles, un élément qui avait pourtant alimenté de vives critiques.
Pour les observateurs, ce verdict symbolique peine à masquer les racines structurelles de la débâcle. L’armée congolaise reste une mosaïque de factions, minée par des logiques politico-ethniques et un financement opaque. La condamnation de quelques officiers, sans réforme globale de la gouvernance sécuritaire, risque de n’être qu’un cautère sur une jambe de bois, alors que le M23 et d’autres groupes armés continuent de menacer la stabilité de toute la région des Grands Lacs. La vraie sanction, pour le pouvoir de Kinshasa, sera sa capacité, ou non, à reconstruire une force crédible et à reprendre l’initiative sur le terrain.



