La Fédération des entreprises du Congo (FEC) demande la suspension immédiate de la « facture normalisée », le nouveau système électronique de facturation unique entré en vigueur le 1er décembre 2025 en République démocratique du Congo. Cette réforme, présentée par le gouvernement comme une avancée majeure pour la transparence et la collecte de la TVA, se heurte à une vive contestation des acteurs économiques, qui dénoncent des dysfonctionnements techniques majeurs et un déploiement précipité.
Dans un courrier adressé aux autorités, la FEC énumère des obstacles concrets qui entravent, selon elle, l’application du dispositif. Sur les quelque 12 000 entreprises assujetties à la TVA, seulement 26 auraient sollicité les modules physiques nécessaires et 14 les auraient effectivement retirés. La fédération souligne qu’aucun système n’est encore officiellement homologué et que seuls deux fournisseurs de solutions sont accrédités à l’échelle nationale. Elle pointe également des risques de pertes de données, de congestion de la plateforme et des incohérences dans le calcul de la TVA ou l’intégration d’autres taxes.
Cette réforme s’inscrit dans un vaste chantier de modernisation et d’assainissement des finances publiques engagé par Kinshasa. Préparée depuis 2024, la facture normalisée a pour objectif affiché de mettre fin à une fraude fiscale endémique qui prive l’État de recettes cruciales, notamment sur la TVA. Le ministre des Finances, Doudou Fwamba, la présente comme un outil de justice et de contrôle en temps réel, permettant à l’administration fiscale de tracer les transactions commerciales directement à la source. Le gouvernement affirme que près de 1 100 contribuables utilisent déjà le logiciel fourni gratuitement par l’État.
Les perspectives à court terme sont marquées par une tension croissante entre les exigences du calendrier gouvernemental et les mises en garde du secteur privé. La FEC réclame un report des sanctions et une période d’ajustement technique. Dans le même temps, des organisations de la société civile, comme le Centre de recherche en finances publiques et développement local, pressent au contraire les autorités de ne pas reculer, arguant que le système est indispensable pour réduire la fraude. L’issue de ce bras de fer conditionnera la crédibilité de la réforme et sa capacité réelle à augmenter les recettes fiscales sans paralyser l’activité économique.
Le cœur du débat réside dans l’écart abyssal entre le récit officiel de modernisation et la réalité du terrain économique congolais. D’un côté, le gouvernement met en avant des tests d’interconnexion réussis et une adoption progressive. De l’autre, le patronat décrit une plateforme inadaptée, notamment pour les grandes entreprises dont les volumes de transaction risquent de la saturer. Cet affrontement révèle les défis récurrents de l’implémentation des réformes structurelles en RDC, souvent compromises par un déficit de consultation, des infrastructures numériques défaillantes et une méfiance historique entre secteur public et privé.
Au-delà des problèmes techniques, la crise de confiance actuelle interroge la stratégie de communication et d’accompagnement des pouvoirs publics. La promesse d’une fiscalité plus juste et transparente, bien que largement partagée, se heurte à une exécution perçue comme brutale et mal préparée. L’enjeu est désormais de trouver un équilibre entre la nécessaire fermeté pour imposer une nouvelle règle du jeu et la flexibilité requise pour ne pas asphyxier des entreprises déjà fragilisées par un environnement des affaires difficile. La crédibilité future de l’État en matière de gouvernance économique se joue en partie dans la gestion de cette transition délicate.



