Les pays du continent n’ont monétisé que 22 mégatonnes d’équivalent CO2 en 2021 pour une valeur estimée à 123 millions de dollars. Pour les experts de l’Initiative pour les marchés du carbone en Afrique, ce niveau peut être multiplié par quatorze sous quelques conditions.
L’Afrique est en mesure de mobiliser 6 milliards de dollars par an sur les marchés volontaires du carbone (MVC) d’ici 2030 si elle parvient à lever les obstacles qui freinent l’accroissement de son offre de crédits carbone, selon un rapport publié en novembre dernier par Sustainable Energy for All (SE4All), une initiative lancée en 2011 par l’ONU pour doubler la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique et assurer un accès universel à des services énergétiques modernes.
Ce rapport présente les objectifs de l’Initiative pour les marchés du carbone en Afrique (Africa Carbon Markets Initiative/ACMI), un groupe de 13 dirigeants, chefs d’entreprise et experts africains et internationaux qui œuvrent pour développer les marchés du carbone sur le continent africain.
Lancée le 8 novembre dernier lors de la COP27, cette initiative précise de prime abord que l’un des principaux défis auxquels l’Afrique est confrontée dans le domaine de la lutte contre le dérèglement climatique, consiste à déterminer comment financer la nécessaire transformation des économies du continent. D’autant plus que les financements climatiques promis par les pays riches sont encore très en deçà des objectifs fixés.
Le rapport souligne dans ce cadre que la solution au manque des financements climatiques passe par l’exploitation de l’immense potentiel des marchés volontaires du carbone, qui représentent « une opportunité majeure pour accélérer le développement économique du continent et réduire simultanément les émissions de gaz à effet de serre ».
Un crédit carbone équivaut à une tonne de dioxyde de carbone, ou à la quantité équivalente d’un autre gaz à effet de serre, qui est réduite, séquestrée ou évitée.
La demande augmente de 36% en moyenne par an
Sur les marchés volontaires du carbone, les acheteurs acquièrent ces crédits afin de compenser leurs propres émissions, finançant ainsi des projets de réduction du carbone. En des termes plus simples, des acteurs qui émettent des gaz à effet de serre, comme les compagnies aériennes, les groupes industriels ou encore les sociétés pétrolières, achètent des crédits carbone qui financent directement des projets concrets de réduction de CO2 ou d’évitement de l’émission de carbone, comme la plantation d’arbres, l’entretien d’une zone naturelle de biodiversité, les projets d’énergies renouvelables, la réduction des émissions de méthane des décharges ouvertes ou encore la régénération des sols agricoles.
A l’échelle mondiale, les marchés volontaires du carbone ont enregistré une croissance annuelle moyenne de 30% entre 2016 et 2021.
La demande de crédits carbone africains a également augmenté à un taux annuel moyen de 36% durant la même période.
Mais cette croissance se produit à partir d’un point de départ très modeste. Les pays du continent n’ont monétisé que 22 mégatonnes d’équivalent CO2 (MtCO2e) en 2021 pour une valeur estimée à 123 millions de dollars.
De plus, cinq pays seulement (Kenya, Zimbabwe, RD Congo, Ethiopie et Ouganda) représentent 65% des crédits émis au cours des cinq dernières années. Plusieurs pays ayant un grand potentiel comme Madagascar, l’Angola, le Nigeria, le Soudan et la Tanzanie ont par ailleurs enregistré de faibles niveaux d’activité.
Globalement, l’offre de crédits carbone par les pays africains sur les marchés de compensation demeure limitée et largement en deçà du potentiel du continent estimé à 2400 mégatonnes équivalent CO2 (1 mégatonne= 1 million de tonnes) par an d’ici 2030.
Le rapport souligne dans ce cadre que l’augmentation de l’offre africaine de crédits carbone permettrait un investissement durable fort nécessaire dans divers secteurs, allant des énergies renouvelables aux solutions de cuisson propres, en passant par l’agriculture et l’exploitation forestière.
30 millions d’emplois pourraient être créés d’ici 2030
Des obstacles majeurs restent cependant à lever pour libérer le potentiel du continent dans ce domaine. Il s’agit notamment de la pénurie de développeurs de projets capables d’opérer à grande échelle, des réglementations complexes, des méthodologies inadéquates dans la détermination de la valeur des crédits de certification et des questions liées à l’intégrité.
L’Initiative pour les marchés du carbone en Afrique a identifié dans ce cadre plusieurs actions prioritaires pour surmonter ces obstacles, dont l’appui aux gouvernements africains dans l’élaboration de plans nationaux relatifs aux MVC, le renforcement des capacités développeurs de projets, le développement du marketing des crédits carbone africains, le déploiement de mécanismes de financement pour réduire les risques des investissements, le coût du capital pour les développeurs et l’instauration d’une réglementation transparente du secteur, en fonction des engagements de chacun des gouvernements dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat.
L’ACMI entend également nouer des liens étroits avec les principaux acheteurs et les organismes de financement des crédits carbone, dont Exchange Trading Group, Nando’s et Standard Chartered Bank pour mettre en place un engagement de marché anticipé de centaines de millions de dollars.
Grâce à ces multiples programmes d’action, les pays africains seront en mesure de vendre 300 mégatonnes d’équivalent CO2 par an d’ici 2030, surtout que le groupe de travail sur la mise à l’échelle des marchés volontaires du carbone (Taskforce on Scaling Voluntary Carbon Markets/TFSVCM) estime que la taille de ces marchés se multipliera par 15 entre 2020 et 2030.
Ces ventes seraient alors multipliées par quatorze par rapport aux niveaux de 2021 (22 MtCO2e). Un tel niveau de monétisation des crédits carbone doit permettre au continent de mobiliser 6 milliards de dollars chaque année et de créer directement ou indirectement 30 millions d’emplois d’ici 2030 en se basant sur l’hypothèse d’un prix de 20 dollars pour chaque tonne de CO2 compensée, adoptée par Standard & Poor’s et la Banque mondiale.
D’ici 2050, l’ACMI estime que l’Afrique pourrait monétiser 1500 mégatonnes d’équivalent CO2 par an, ce qui lui permettrait de mobiliser 120 milliards de dollars par an dans l’hypothèse d’un prix de 80 dollars par tonne. À un tel stade, les marchés du carbone constitueraient un secteur majeur sur le continent, et pourraient soutenir la création de plus de 100 millions d’emplois.
Agence Ecofin