La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a célébré hier à Lagos son cinquantenaire dans une ambiance empreinte de sobriété et de gravité. Peu de chefs d’État ont répondu à l’appel, mais la présence du général Yakubu Gowon, 90 ans, dernier père fondateur vivant, a marqué la journée. À la tribune, il a multiplié les appels à l’unité, soutenu par d’anciens hauts responsables tels que Mohammed Ibn Chambas et Lansana Kouyaté.
Tout au long des cérémonies, ces figures historiques ont exprimé leurs inquiétudes sur l’avenir de la Cédéao. Mohammed Ibn Chambas, premier président élu de la Commission en 2007, a souligné l’urgence d’une introspection profonde : « C’est le moment de réfléchir à ce qui a été accompli, et de préparer l’organisation à relever les défis de notre époque. » Lansana Kouyaté, ancien secrétaire exécutif et réformateur notoire, a abondé dans ce sens, insistant sur la nécessité d’adapter les structures de l’organisation aux nouvelles réalités, sous peine de la voir perdre sa pertinence.
Ce cinquantenaire intervient alors que la Cédéao traverse une crise sans précédent. Trois pays – le Mali, le Niger et le Burkina Faso – dirigés par des juntes militaires, ont officiellement quitté l’organisation pour fonder l’Alliance des États du Sahel (AES). Cette scission met en lumière les faiblesses persistantes de l’intégration régionale ouest-africaine, entachée depuis des années par des différends politiques et sécuritaires. La Cédéao, historiquement perçue comme un moteur de stabilité régionale, voit ainsi son unité remise en question.
Les prochaines étapes seront cruciales pour l’avenir des relations entre la Cédéao et l’AES. Si certains pays membres, comme le Togo et le Ghana, plaident pour une séparation en douceur, d’autres, tels que le Nigéria, semblent moins enclins à accorder des privilèges commerciaux ou migratoires aux nouveaux dissidents. La question de la libre circulation des biens et des personnes, pilier fondamental de la Cédéao, pourrait devenir un point de tension majeur, notamment pour les populations transfrontalières concernées.
Sur le terrain diplomatique, les discussions se poursuivent. Des voix, à Lagos, s’élèvent pour rappeler que l’AES « s’en va avec toutes les conséquences ». Pendant ce temps, le Togo et le Ghana cherchent à tirer parti de la situation en offrant leurs infrastructures portuaires aux pays enclavés de l’AES, en quête d’accès à la mer. Cette recomposition des rapports de force régionaux pourrait redéfinir les équilibres économiques et stratégiques en Afrique de l’Ouest.
Ce cinquantenaire de la Cédéao n’a donc pas seulement été un moment de commémoration. Il a surtout révélé les lignes de fracture qui traversent aujourd’hui l’organisation. Tandis que certains dirigeants appellent au renouveau et à l’unité, d’autres misent sur des intérêts pragmatiques, laissant augurer d’une recomposition régionale complexe et incertaine. À l’heure où les défis se multiplient – insécurité, crises économiques, instabilité politique – l’avenir de l’intégration ouest-africaine paraît plus que jamais suspendu à des choix difficiles.