La Cour pénale internationale (CPI) de La Haye a rendu son verdict jeudi 24 juillet dans l’affaire des deux ex-dirigeants des milices anti-balaka de Centrafrique. Alfred Yekatom, ancien député et chef d’entreprise de sécurité, écope de 15 ans de prison ferme, tandis que Patrice-Édouard Ngaïssona, ex-président de la Fédération centrafricaine de football, est condamné à 12 ans d’emprisonnement. Ces sentences, prononcées après plus de quatre années de procédure judiciaire, sanctionnent des crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis entre septembre 2013 et février 2014.
Les deux hommes ont été reconnus coupables de multiples chefs d’accusation : Yekatom fait face à 20 condamnations et Ngaïssona à 28. Leurs crimes incluent des attaques délibérées contre des populations civiles, des persécutions fondées sur des critères ethniques, ainsi que des actes de torture et traitements inhumains. Ces exactions s’inscrivent dans la période troublée qui a suivi l’éviction du général François Bozizé par la coalition rebelle Séléka, provoquant une riposte sanglante des milices anti-balaka se réclamant des communautés chrétienne et animiste. Le procès, initié il y a quatre ans, a connu de nombreux retards dus notamment à la pandémie de Covid-19 et aux problèmes de mandats des juges de la CPI.
La Centrafrique traverse depuis 2013 une crise sécuritaire majeure née de l’opposition entre la Séléka, coalition rebelle à dominante musulmane, et les milices anti-balaka, formées en réaction pour défendre les communautés chrétiennes et animistes. Cette confrontation intercommunautaire a plongé le pays dans un chaos généralisé, contraignant des centaines de milliers de Centrafricains à l’exil et provoquant de nombreuses violations des droits humains. L’arrestation de Yekatom à Bangui fin 2018 et celle de Ngaïssona en France à la même période marquent l’engagement de la justice internationale dans la lutte contre l’impunité en Centrafrique, un pays où les institutions judiciaires nationales peinent à fonctionner normalement.
Les condamnés disposent de 30 jours pour interjeter appel de cette décision, une procédure que leurs avocats envisagent déjà. Pour Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch, ce verdict constitue “une étape très importante pour la Centrafrique, pour la CPI et pour la justice”, envoyant “un message très fort” aux responsables de groupes armés encore actifs dans le pays. Cette décision pourrait encourager d’autres poursuites judiciaires contre les auteurs de crimes internationaux en Centrafrique, où plusieurs enquêtes de la CPI restent en cours. Elle s’inscrit également dans la stratégie de réconciliation nationale promue par les autorités centrafricaines et la communauté internationale.
À Bangui, les victimes ont suivi la retransmission du verdict sur écran géant dans les locaux de la CPI. Euphrasie Nanette Yandoka, coordonnatrice de l’Association nationale d’assistance aux familles (ANAF), exprime une satisfaction mitigée : “Je suis contente parce qu’on a condamné Alfred Yekatom à 15 ans et Patrice Édouard Ngaïssona à 12 ans. Normalement pour nous les victimes, 12 ans et 15 ans, ce n’est pas beaucoup. On s’attendait à 30 ans pour les deux.” Les parties civiles avaient effectivement réclamé le maximum de la peine prévue, soit 30 années d’emprisonnement. Rabiatou, victime de viol lors de l’attaque de Boda en décembre 2013, témoigne des séquelles durables : “Depuis, je me sens stigmatisée, on m’appelle la femme des rebelles. J’ai vu les miliciens emporter tous nos biens, poussant ma famille à huit ans d’exil.”
Au-delà des sanctions pénales, les victimes centrafricaines formulent des exigences précises en matière de réparations. Euphrasie Nanette Yandoka détaille leurs attentes : “Ce que nous demandons, c’est la réparation. Une réparation indirecte ou directe. On peut nous construire un centre de formation professionnelle ou une maison d’accueil pour les victimes. Nous demandons également la construction d’un musée qui retrace l’histoire des victimes, une réparation financière et un monument qui peut représenter les victimes en RCA.” Ces demandes reflètent la volonté des victimes de voir leur souffrance reconnue et de contribuer à la mémoire collective du pays. Toutefois, les partisans des deux condamnés contestent le verdict et militent pour l’acquittement de leurs leaders, illustrant les divisions persistantes au sein de la société centrafricaine sur la question de la justice transitionnelle.