Au-delà de toute procédure légale, l’ancien président de l’Union des Comores vient d’entamer sa cinquième année en détention provisoire. Sans que son cas ne suscite pour l’instant d’autre inquiétude que celle de ses proches.
Le 22 août 2022 au matin, Ahmed Abdallah Sambi, président de l’Union des Comores entre 2006 et 2011, a commencé sa cinquième année en détention provisoire. Placé en résidence surveillée le 18 mai 2018, officiellement pour trouble à l’ordre public, il est maintenu sous contrôle judiciaire depuis le 21 août de cette même année, à la suite de sa mise en examen pour détournement de deniers publics dans le cadre du programme de citoyenneté économique qu’il avait lui-même initié en 2008 et qui a duré jusqu’en 2016.
« En détention provisoire illimitée »
À 64 ans, Ahmed Abdallah Sambi compte parmi les quelques anciens présidents africains poursuivis en justice dans leurs pays. Il a certes, jusqu’à présent, évité la case prison pour être maintenu sous bonne garde à son domicile, comme peuvent l’être aussi Mohamed Ould Abdelaziz et Jacob Zuma. Mais lui l’est « en dehors de tout cadre légal », insiste son avocat, Mahamoudou Ahamada.
Calquée sur le droit français, la procédure pénale comorienne prévoit en effet un délai maximum de quatre mois, renouvelable une fois. Depuis le 20 avril 2019, Ahmed Abdallah Sambi est donc placé « en détention provisoire illimitée », selon la formule utilisée, dans un accès de franchise surprenant, par le ministre de la Justice Mohamed Houssaini devant des journalistes en décembre 2020.
Depuis, le nouveau garde des Sceaux, Djaé Ahamada Chanfi, tout comme l’actuel président de l’Union des Comores, Azali Assoumani, promettent à intervalle régulier l’ouverture d’un procès qui n’en finit pas de se faire attendre. Le chef d’État comorien l’a encore annoncé pour la fin de cette année à Jeune Afrique en juillet dernier. Sauf qu’à ce jour, « aucune ordonnance de renvoi n’a été prise par le tribunal en première instance de Moroni pouvant confirmer une telle éventualité », constate le défenseur de l’ex-président, surpris de voir l’exécutif s’engager de la sorte à la place du judiciaire.
Un dossier embarrassant
C’est pourtant au nom de l’indépendance de la justice aux Comores que le président Assoumani a longtemps justifié le fait qu’il se tenait en retrait de ce dossier de plus en plus embarrassant pour lui-même et pour son pays. Surtout que personne ne sait où en est l’instruction. Le juge Hassane Assoumani, qui dispose du réquisitoire définitif émis par le parquet de Moroni depuis juin 2020, n’a jusqu’à ce jour mené aucune audition. « Nous sommes dans une impasse totale », déplore Mahamoudou Ahamada.
Contacté par Jeune Afrique, le juge Assoumani n’a pas répondu à nos sollicitations. Pas plus que le procureur de la République, Ali Mohamed Djounaid. Il aurait pourtant été intéressant de savoir pourquoi lui et son prédécesseur jusqu’en juillet 2021, Mohamed Abdou, ont constamment refusé les demandes de soins déposées par l’avocat Mahamoudou Ahamada et acceptées par le juge d’instruction. Jusqu’à lui dénier la possibilité, en juin dernier, d’aller se faire soigner une rage de dent à Moroni.
DEPUIS CINQ ANS, SAMBI EST CONFINÉ DANS UNE RÉSIDENCE SITUÉE SUR L’ÎLE DE GRANDE COMORE, À BONNE DISTANCE DE SES PROCHES ET DE SA FAMILLE
Se pose aussi la question de savoir pourquoi, parmi les personnes encore inculpées, seul Ahmed Abdallah Sambi n’a bénéficié d’aucun assouplissement officiel de ses conditions de détention, contrairement à Nourdine Bourhane et Mohamed Ali Soilihi, les deux anciens vice-présidents de son successeur à la présidence, Ikililou Dhoinine, chef de l’État entre 2011 et 2016.
Les deux hommes ont obtenu une levée partielle de leur contrôle judiciaire en mars 2022. Quant à Ikililou Dhoinine, il n’a jamais été officiellement inculpé dans cette affaire ni même convoqué par la justice. Il coule aujourd’hui des jours tranquilles sur son île de Mohéli quand l’Anjouanais Sambi reste confiné dans la résidence à laquelle ses anciennes fonctions lui donnent droit, à Voidjou, sur l’île de Grande Comore. « Soit à bonne distance de ses proches et de sa famille », regrette Tisslame Sambi, qui n’a pas vu son père depuis quatre ans.
La crainte de l’oubli
L’époque où Mahamoudou Ahamada devait ôter ses chaussures sur le pallier, pour voir s’il n’y cachait pas un téléphone, semble toutefois révolue. « Mais les droits de visite sont comme la météo, qui peut être clémente ou agitée », philosophe l’avocat qui a longtemps été le seul autorisé à voir son client. Quelques fidèles de l’ancien parti présidentiel Juwa obtiennent parfois du juge d’instruction le précieux sésame qui leur permet de rencontrer leur chef qui, autrement vit reclus, avec pour seule compagnie le cuisinier qui l’accompagne depuis la présidence, aujourd’hui « véritable assurance-vie contre toute tentative d’empoisonnement », selon Tisslame Sambi.
Car plus qu’une simple injustice, la famille craint davantage l’oubli. Elle n’a donc de cesse de tenter d’attirer l’attention de l’opinion internationale, mais avec un succès très relatif. En France, où elle réside, Tisslame Sambi s’est plusieurs fois rendue au ministère des Affaires étrangères, qui a montré jusqu’à présent un intérêt au mieux poli. Ahmed Abdallah Sambi s’est fendu par deux fois d’une lettre adressée à Emmanuel Macron, dont la dernière date de mai 2022, et dont il attend encore que l’Élysée accuse réception. Les dirigeants des Émirats arabes unis, pourtant parties prenantes du programme de citoyenneté économique, se sont abstenus de toute intervention, notamment auprès de leur ami, le président Azali Assoumani.
« Image de dictature »
Seules pour l’instant quelques organisations internationales se sont intéressées au fil des mois qui passent au sort d’Ahmed Abdallah Sambi. Depuis le début de cette année, l’ONU, via son représentant du PNUD aux Comores, s’est rendu à Voidjou, tout comme les représentants de l’Union européenne (UE) et de l’Union africaine (UA) à Madagascar. En visite aux Comores en février de cette année, Macky Sall, président en exercice de l’UA, a bien évoqué le cas Sambi auprès de son homologue comorien, mais « sans que cela n’ait eu la moindre conséquence sur le déroulement de la justice comorienne », regrette Mahamoudou Ahamada.
Les plus investies sur le sujet restent aujourd’hui les autorités tanzaniennes. La présidente en exercice, Samia Suluhu Hassan, a envoyé en août 2021 sur l’archipel son prédécesseur, Jakaya Kikwete, pour discuter avec le président Assoumani d’une possible évacuation sanitaire de l’ancien président comorien sur Dar es-Salaam. « Une éventualité qui devient toujours plus illusoire à mesure que le temps passe », avance encore l’avocat.
À l’heure où Azali Assoumani lance une vaste opération séduction en direction des bailleurs de fonds pour relancer l’économie comorienne, au plus bas depuis l’arrivée de la pandémie, peut-il prendre le risque de voir son pays pris en flagrant de déni de justice ? Lui-même redoute que l’affaire ne finisse à la longue « par nuire à l’image du pays, en renforçant à l’international son image de dictature », comme il n’a pas hésité à le dire à Jeune Afrique il y a quelques semaines. Une prise de conscience qui semble aujourd’hui être la meilleure chance pour son prédécesseur de voir un jour prochain sa situation évoluer.
Source: Jeune Afrique