Dans un décret lu à la télévision nationale le vendredi 28 mars, le général Mamadi Doumbouya, président de la transition au pouvoir en Guinée, a décidé d’accorder une grâce présidentielle à Moussa Dadis Camara, l’ex-dirigeant guinéen. Condamné en 2024 à 20 ans de réclusion pour crimes contre l’humanité dans le cadre du massacre du 28 septembre 2009, Camara a bénéficié de ce geste en raison de son état de santé jugé fragile, une situation qui n’avait jusqu’alors jamais été évoquée.
L’ancien chef de la transition, qui a dirigé la Guinée entre 2008 et 2009, était sous le coup d’une condamnation suite à sa responsabilité dans la répression brutale du rassemblement de l’opposition au Stade de Conakry, où plus de 150 personnes ont été tuées, des centaines blessées, et au moins 109 femmes violées. Le décret de grâce, qui survient après son incarcération en 2022 suite à son retour d’exil, a été justifié par sa santé précaire, mais ce détail n’avait pas été mentionné dans les précédentes démarches judiciaires.
Le massacre du 28 septembre 2009 reste un des événements les plus tragiques de l’histoire récente de la Guinée. Ce jour-là, lors d’une manifestation pacifique organisée par l’opposition contre la candidature de Dadis Camara à l’élection présidentielle, les forces de sécurité, sous ses ordres, ont violemment réprimé les manifestants. La Commission d’enquête internationale mandatée par l’ONU avait conclu que ces actes constituaient des crimes contre l’humanité. La condamnation de Dadis Camara en 2024 avait été perçue comme une avancée majeure dans la quête de justice pour les victimes.
Ce geste de grâce présidentielle soulève des interrogations sur les intentions du régime actuel de Doumbouya. Tandis que certains y voient un acte humanitaire en raison de l’état de santé de l’ex-dictateur, d’autres perçoivent cette décision comme une manœuvre politique visant à apaiser les tensions internes ou à instaurer une forme de réconciliation nationale. Quoi qu’il en soit, cette grâce n’efface pas les blessures du passé et pose la question de la responsabilité des auteurs de crimes de guerre dans un pays encore marqué par les événements de 2009.
L’annonce de la grâce présidentielle a suscité des réactions mitigées. De nombreuses victimes du massacre de 2009, ainsi que des organisations internationales, ont exprimé leur indignation face à ce qu’elles considèrent comme une tentative d’impunité. De plus, les 400 parties civiles, qui attendent toujours des réparations pour leurs préjudices, voient dans cette décision un frein à la justice. En parallèle, le décret guinéen sur l’indemnisation des victimes, bien que salué, n’a pas encore permis de résoudre la question des réparations, créant ainsi un climat de mécontentement et d’incertitude.
Ce geste de grâce soulève des questions cruciales sur l’état de la justice en Guinée et la gestion des crimes passés. Si cette décision peut être perçue comme une avancée pour certains, elle risque aussi de raviver des tensions autour de la question de l’impunité et des droits des victimes. Le chemin vers la réconciliation et la justice reste semé d’embûches, et la société guinéenne doit désormais jongler entre le pardon, la réparation et la mémoire du passé.