Le gouvernement kényan a reconnu avoir coopéré avec les autorités ougandaises dans l’enlèvement sur son sol de l’opposant Kizza Besigye, figure historique de la dissidence en Ouganda. Ce dernier, capturé en novembre 2024 à Nairobi, a été transféré clandestinement à la frontière ougandaise sans procédure judiciaire, a déclaré le ministre kényan des Affaires étrangères, Musalia Mudavadi, le 20 mai dernier.
Selon Mudavadi, cette opération a été menée au nom de « l’intérêt national ». Âgé de 68 ans, Kizza Besigye, ancien médecin personnel du président Yoweri Museveni devenu son adversaire politique de longue date, fait aujourd’hui face à de lourdes accusations. Il est poursuivi pour complot visant à renverser le gouvernement « par la force des armes », un chef d’inculpation passible de la peine capitale en Ouganda. Depuis son arrestation, Besigye est détenu à Kampala, où il a observé une grève de la faim de dix jours pour dénoncer sa « détention illégale ».
Cet épisode s’inscrit dans un contexte de tensions récurrentes entre régimes autoritaires et mouvements d’opposition dans la région. Kizza Besigye, opposant déclaré depuis 1999, a déjà été emprisonné, assigné à résidence et régulièrement harcelé par les autorités ougandaises. Ce n’est pas la première fois que des méthodes extrajudiciaires sont employées contre lui. Mais l’implication ouverte du Kenya, souvent perçu comme un pilier de stabilité régionale, surprend et inquiète.
Les conséquences de cette reconnaissance pourraient être multiples. D’abord sur le plan diplomatique, Nairobi risque de voir son image écornée, notamment auprès des partenaires occidentaux. Ensuite sur le plan interne, où cette affaire pourrait susciter des débats sur le respect des droits de l’homme et l’indépendance de la justice kényane. Enfin, la coopération sécuritaire régionale entre pays d’Afrique de l’Est pourrait se voir remise en question si ces pratiques devenaient la norme.
L’avocate de Besigye, Martha Karua, ancienne ministre kényane de la Justice, a qualifié l’affaire d’« arrangement hors la loi entre États voyous ». Elle dénonce une volonté commune des gouvernements de la région à opprimer les voix dissidentes, au mépris des conventions internationales. Elle-même a été expulsée de Tanzanie le 18 mai dernier alors qu’elle s’apprêtait à assister à une audience d’un opposant tanzanien. Une illustration, selon elle, de la répression croissante contre les oppositions politiques dans la région.
Ce climat de verrouillage autoritaire en Afrique de l’Est inquiète nombre d’observateurs. La circulation des opposants, leur sécurité en exil et les mécanismes de coopération entre services de renseignement sont désormais au centre des préoccupations des défenseurs des droits humains. Pour eux, le cas Besigye n’est pas un fait isolé, mais un symptôme de plus d’un durcissement régional contre la contestation politique.