Par : Jeanne Richard
La convention des Nations unies contre la désertification publie ce jeudi 27 avril un rapport pour faire l’état des lieux de la dégradation des sols dans le monde et proposer des solutions. Aujourd’hui, jusqu’à 40 % de la surface des terres est dégradée. Les scientifiques proposent plusieurs scénarios d’action dans ce rapport, publié quelques jours avant la COP désertification. La réunion des représentants de 197 États à Abidjan du 9 au 20 mai qui vont tenter de s’accorder sur la lutte contre la dégradation des sols au niveau mondial.
Aujourd’hui, une personne sur deux est affectée par la dégradation des terres, lorsque le sol perd sa capacité à produire de la nourriture, de l’eau pure ou des habitats sains pour l’homme et toute la biodiversité. Alors que le changement climatique et les sècheresses promettent d’aggraver la situation, la deuxième édition du rapport « Perspectives mondiales pour les sols » vise à dresser un état des lieux et explorer ce que nous réserve l’avenir.
Après 5 ans de recherches, les scientifiques proposent trois scénarios d’actions. Le premier, « business as usual » nous projette en 2050, comme si rien dans nos modes de consommation et de production ne changeait. Il faut alors s’attendre à ce que la dégradation des sols gagne du terrain, l’équivalent de la surface du continent sud-américain serait dégradée. Avec un cercle vicieux d’augmentation de la population mondiale, de productivisme, de perte de fertilité des sols, d’érosion et d’émission de gaz à effet de serre.
Restaurer 5 milliards d’hectares
En cause, selon Ibrahim Thiaw, Secrétaire exécutif de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD), notre modèle d’agriculture, pour nourrir les hommes et le bétail. « Jusqu’à 70 % de l’eau utilisée l’est pour les besoins agricoles et 80 % de la déforestation est due à l’agriculture. » Les activités humaines et l’urbanisation aussi est un facteur de dégradation des sols, ainsi que le changement climatique et les sècheresses qui seront de plus en plus fréquentes et intenses.
Un deuxième scénario de « restauration » est présenté dans le rapport. Il propose de restaurer 50 millions de km² de terres dégradées, soit 35 % de la superficie du Globe. (Actuellement, les États se sont engagés à restaurer d’ici à 2030 10 millions de km 2, l’équivalent de la surface des États-Unis ou de la Chine). L’objectif est de « rétablir les milieux naturels, assurer une meilleure production agricole et ainsi rendre l’économie plus saine », explique Ibrahim Thiaw. En effet, en restaurant les terres, les sols sont plus fertiles et c’est un gain pour les PIB des États, selon lui.
Crise migratoire et guerres de l’eau
Le troisième scénario de « conservation » reprend le programme de restauration, mais vise en plus la création massive d’aires protégées, l’équivalent de la surface de l’Inde et du Pakistan (4 millions de km²). « C’est un scénario idéal » pour Ibrahim Thiaw, car il permettrait de protéger la biodiversité, augmenter les ressources en eau, lutter contre le changement climatique et ainsi « régler certaines crises mondiales actuelles. » Des études font le lien entre dégradation des sols et migration, note-t-il. « Quand on n’a plus rien à produire chez soi, on n’a pas d’autre choix que de migrer. La dégradation des terres a aussi des conséquences sur la sécurité avec les conflits d’usage entre éleveurs et agriculteurs. C’est ce qu’on observe au Sahel ou au Moyen-Orient avec les luttes d’accès à l’eau et aux terres arables. »
Les auteurs du rapport ont donc analysé une centaine de méthodes, différentes en fonction du lieu et du contexte, pour réussir à restaurer les terres déjà dégradées. L’agroforesterie ou les techniques de conservation des sols en agriculture qui permettent de produire sans abimer les écosystèmes. Le pastoralisme avec le maillage de points d’eau en zone aride pour limiter l’érosion en évitant que trop de bétail ne se retrouve à piétiner toujours le même endroit.
Réorienter les financements
Mettre en place ce changement de mode de production nécessite donc des moyens importants. 1 600 milliards de dollars rien que pour restaurer 10 millions de km² alors que l’ONU souhaite réhabiliter cinq fois plus. « L’important, souligne le secrétaire exécutif de l’UNCCD, c’est que le rapport ne demande pas forcément des fonds publics qui devraient être transférés du Nord au Sud comme c’est souvent le cas ». Ces 1 600 milliards de dollars, « c’est un cinquième des subventions allouées aux énergies fossiles et à l’agriculture intensive » qui entraînent la dégradation des terres et le changement climatique. Selon Ibrahim Thiaw, « les investissements peuvent se faire dans les pays du Nord puisque la dégradation des sols touche toute la planète. L’argent peut aussi être investi par le secteur privé, car c’est lui qui fait l’agriculture, pas les gouvernements. Et c’est plutôt un investissement pour rendre la productivité à la terre, pour pouvoir produire de nouveau, pour l’agriculture ou l’écotourisme, etc. ». Selon le rapport, un dollar investi génère en 7 et 30 dollars de revenus.
Reste la nécessaire prise de conscience et la volonté politique. Le rapport de l’UNCCD doit en effet alimenter les discussions lors de la COP 15 (Conférence des parties) dédiée à la désertification qui doit s’ouvrir le 9 mai prochain en Côte d’Ivoire.